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Bassirou Diomaye Faye: Les Sénégalais ont-ils voté pour leurs indépendances ?

 Bassirou

 

Séisme politique, révolution démocratique, promesses de rupture avec tout ce qui a été jusqu'à présent, les qualificatifs ne manquent pas pour parler de l'élection de Bassirou Faye, parfait inconnu, il ya encore quelques semaines le 24 mars 2024 à la tête du Sénégal.

Tout compte fait, ce qui s'est passé et contre l'avènement duquel celui qui sera désormais ex-président du Sénégal dans quelques jours (Macky Sall) s'est battu sous la pression et pour le compte d'acteurs extérieurs, n'est pas anodin sur les plans politique, géopolitique, psychologique et historique.

Bassirou Faye et son mentor, Ousmane Sonko, se définissent comme des panafricanistes de gauche anti-système. Le programme qu'ils comptent appliquer et qui rencontre l'approbation d'une très grande majorité de sénégalais promet des changements de cap radicaux et des remises en cause qui ne seront pas sans conséquences dans les relations internationales du Sénégal aussi bien au plan régional qu'international.

Dans sa première prise de parole, le nouveau président a essayé de rassurer les partenaires extérieurs du Sénégal, mais personne n'est dupe.

Son programme de gouvernement, s'il est appliqué sans entraves et dans l'esprit de ce que Ousmane Sonko dit depuis plusieurs années maintenant, devrait permettre, dans leur entendement, au pays d'accéder à la pleine souveraineté sur le plan intérieur et extérieur et s'assurer une série d'indépendances fondamentales.

Sur le plan interne, il y a cette volonté de "rupture et de changement de système", notamment celui que Bassirou Faye nomme "l'hyperprésidentialisme qui a engendré une "mainmise de l'exécutif sur le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire".

Ce fait n'est pas spécifique au Sénégal sur le continent. Loin s'en faut. Dans la quasi-totalité des pays du continent et dans tous les pays francophones, les constitutions font du Président de la République un dieu qui fait et défait les Hommes et leurs carrières et donne à l'Exécutif d'incarner à lui seul toutes les fonctions de l'État qui d'ailleurs appartient à ceux qui le gouvernent.

Dès lors, en donnant au Parlement un rôle plus important et réel dans la gouvernance du Sénégal, il ne fera que restituer en quelque sorte au peuple sa souveraineté jusque-là confisquée par un seul individu dans la gouvernance du pays. Le Togo qui est le seul pays de la région dont la constitution mentionne le pouvoir législatif avant le pouvoir exécutif, vient justement d'ailleurs de basculer vers un régime parlementaire.

Une autre limite de l'expression de la souveraineté qui est commune à tous les pays africains concerne la gestion de leurs richesses agricoles et minières notamment. Ousmane Sonko a été très clair sur le sujet lors d'un meeting : "Que personne ne nous fasse croire qu'on ne peut pas incarner notre propre souveraineté. Nous serons désormais un État souverain, indépendant, qui collaborera avec tout le monde mais dans des partenariats gagnant-gagnant".

Cette souveraineté qui se rapporte à une véritable indépendance du Sénégal sur la scène internationale est martelée à 18 reprises dans le programme de gouvernement des nouvelles autorités sénégalaises.

Cette souveraineté, toujours selon la nouvelle équipe qui arrive au pouvoir, s'exercera pleinement également dans les négociations ou renégociations des contrats d'exploitation des richesses du pays comme le pétrole et le gaz découverts récemment mais aussi pour des secteurs comme la pêche.

Le point sur lequel le nouveau gouvernement est attendu par tous, est la sortie du franc CFA qui matérialisera ainsi une prise de distance avec la France.

Quand on a dit tout cela , il est important de rappeler que l'indépendance ne saurait se limiter à l'instauration de négociations de marchands de tapis pour tirer le meilleur profit pour son pays des contrats et autres concessions avec des partenaires extérieurs. Loin s'en faut.

L'indépendance c'est avant tout l'assumation de sa pleine souveraineté nationale et internationale qui se conçoit d'abord comme le refus de toute tutelle dans la définition et l'exécution de sa politique intérieure et extérieure avec pour seuls objectifs les intérêts premiers du pays et de son peuple.

C'est seulement à l'aune de cela que l'on pourrait évaluer si à travers le tandem Sonko-Faye, les Sénégalais ont avant tout voté pour leurs indépendances.

Un pays qui est très attentif à tout cela, c'est bien sûr la France. Cette évolution qui porte en elle de réelles promesses de divorce ou du moins de séparation de corps avec elle, risque de la fragiliser davantage jusqu'à rendre intenable sa position dans ses colonies africaines.

Le Sénégal depuis le 19ème siècle est le centre de la présence française en Afrique de l'Ouest et fut le siège du Gouvernement Général de ses colonies ouest-africaines. Les natifs de quatre communes sénégalaises avaient même d'office la nationalité française.

Il ne faut pas perdre de vue que Ousmane Sonko a écrit une partie de sa légende sur le sentiment anti-français qui a donné lieu, il ya quelques années, à des manifestations violentes qui ont pris pour cibles les intérêts français dans le pays.

On le voit dans un contexte régional africain qui lui est défavorable actuellement, la France (et surtout son Président) devrait savoir adopter la meilleure posture et utiliser les mots adéquats face au nouveau gouvernement sénégalais afin d'éviter les erreurs qui ont crispé ses rapports avec les pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger. On gouverne avec des actes mais aussi avec les mots. Et l'Afrique de 2024, n'est pas celle de 1960. Malheureusement cela échappe à certains.

Cependant, tout ce scenario ne pourra se déployer que si et seulement si les nouvelles autorités restent fidèles à leurs promesses de campagne.

Mais comme très souvent hélas, il ya les certitudes de l'opposant politique et les exigences qui s'imposent à celui qui exerce le pouvoir. Et comme le disait Dag Hammarskjöld: "L'effort d'unir sagesse et pouvoir aboutit rarement et seulement très brièvement. "

Moritié Camara
Professeur Titulaire d'Histoire des Relations Internationales

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