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L'éducation aux médias, clef de la lutte contre la désinformation chez les jeunes

Sedera

Selon une récente étude de Destin Commun, 7 Français sur 10 se déclarent aujourd’hui inquiets face à la désinformation. Le problème est vaste et multifactoriel, mais certaines associations ont choisi de se concentrer sur un public-clef : la jeunesse, grâce à l’éducation aux médias et à l’information (EMI).

En effet, c’est une cible essentielle. Une étude de Médiamétrie pour l’UNAF a révélé qu’en France, les enfants recevaient en moyenne leur premier téléphone portable à neuf ans et neuf mois. Entre 11 et 14 ans, deux enfants sur 3 en sont équipés. Ils ont ainsi accès de plus en plus tôt aux informations partagées en ligne, directement et sans la supervision de leurs parents. Il est donc essentiel de les aider à discerner le vrai du faux pour qu’ils aient les bons réflexes, dès leur plus jeune âge, avant de croire ou partager ce qu’ils reçoivent.

Découvrir la fabrique de l’information
Olivier Guillemain et Sandra Laffont ont lancé Entre les lignes en 2010. Il travaillait en tant que journaliste à l’agence Reuters, elle à l’AFP. “À cette époque-là, l'éducation aux médias n'était pas du tout un thème à la mode, pas porteur. Il y avait le CLEMI [ndlr : le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information], il y avait des associations un peu pionnières ou les fédérations d'éducation populaire qui menaient des actions d’EMI sans forcément l'appeler comme ça,” raconte M. Guillemain, qui est devenu directeur de l’association.

“Le point de départ, c'est une passion pour le métier de journaliste et le fait de sentir, il y a 13 ans déjà, un climat de défiance qui montait.”

Pour essayer de rétablir le lien de confiance entre les citoyens et les médias, ils se disent qu’expliquer le processus de fabrication d’une information pourrait permettre aux gens de comprendre si elle est de bonne facture ou non, si elle est bien sourcée ou pas. “On était face à un constat fou : il n’y a jamais eu autant de médias et de possibilités de s'informer qu’aujourd'hui mais paradoxalement, c'est de plus en plus dur de le faire.” Désormais, Entre les lignes mobilise 240 journalistes bénévoles qui interviennent partout en France dans des établissements scolaires, des bibliothèques, des centres sociaux, auprès de jeunes sous main de justice ou en insertion.

Les réseaux sociaux au cœur des enjeux
Au Cameroun, Eduk-média a démarré son action en 2016 auprès d’un public lycéen mais a depuis élargi son périmètre. “On travaille avec des jeunes des classes de troisième déjà ; ils ont 13 ans, 14 ans. Nous travaillons aussi avec les leaders et les radios communautaires, c’est-à-dire tous ceux qui doivent être des relais pour les jeunes par la suite,” explique Blaise Andzongo, le président de l’association.

“Au Cameroun, la jeunesse constitue déjà 70 % de la population. Ce sont les plus actifs sur les réseaux sociaux et justement, ce sont les plateformes où se diffusent le plus de désinformation. Les jeunes sont capables de freiner le phénomène, non seulement parce qu'ils sont nombreux, mais ils constituent le plus grand nombre des informateurs. Je dis souvent qu’il y a très peu de personnes qui désinforment, c'est-à-dire qui produisent de la désinformation, mais il y en a beaucoup qui relaient. Les jeunes sont beaucoup plus dans la catégorie de ceux qui relaient donc c'est pour ça qu'il faut aller vers eux,” poursuit-il.

Les jeunes ont de nouvelles pratiques de consommation de contenus qu’il faut accompagner pour lutter contre la désinformation. “On ne diabolise pas du tout les écrans ni les réseaux”, explique M. Guillemain. “Les jeunes ne sont plus sur les médias traditionnels. En revanche, ils sont sur Internet, sur les réseaux sociaux. On essaie de leur montrer qu'aujourd'hui, il y a des super moyens de s'informer sur Internet.”

Mais même si la question de la désinformation est de plus en plus présente dans le débat public depuis quelques années, tout le monde n’a pas conscience de l’amplitude du problème ou du côté pernicieux du phénomène.

“Dans la majorité des cas, quand nous intervenons, les jeunes n'ont pas conscience du fait qu'ils sont exposés à un très grand nombre de fausses informations”, explique M. Andzongo. “Et de plus en plus, ce qui est curieux, c'est qu'une information parfois fact-checkée va renforcer la croyance en la fausse information. Beaucoup de gens ne croient pas une information fact-checkée. Ils vont vous dire, ‘Ah si on a démenti cette information, en fait, c'est que c'est vrai’.”

Le travail des associations d’éducation aux médias s’appuie ainsi sur un lien de proximité qui permet aux jeunes de dépasser leurs méfiances et replacer les doutes au bon endroit.

“On travaille sur des biais cognitifs très importants. On amène les individus à douter parfois d'eux-mêmes, à douter de leurs croyances... La psychologie cognitive nous amène à travailler sur la façon dont les personnes reçoivent l'information”, précise M. Andzongo.

Des efforts importants ont également lieu dans les zones reculées. “Les radios communautaires que nous formons utilisent les messages en langue locale pour pouvoir toucher les personnes qui n'ont pas d'outils numériques mais qui sont au parfum de toutes les fausses informations qui circulent”, continue M. Andzongo. “On constate que les personnes qui n'ont pas de téléphone ou de télé peuvent vous donner une histoire qui a été inventée sur Internet grâce au bouche à oreille.”

Comment aller plus loin
Selon une étude publiée en 2019 par la société israélienne de cybersécurité CHEQ et l’université de Baltimore, la désinformation coûte plus de 78 milliards de dollars par an à l’économie mondiale. Ainsi, même si les associations comme Entre les lignes et Eduk-média sont de plus en plus sollicitées et reconnues, face à l’ampleur du problème et l’infobésité, le chemin est encore long.

Pour M. Andzongo, la lutte contre la désinformation passe notamment par la formation des journalistes et une meilleure reconnaissance de leur métier. “Il faut renforcer les cours sur l’éthique et la déontologie. Parfois, ils connaissent mais comme ils ont besoin d'argent, ils sont obligés de faire des titres qui n'ont rien à voir avec le contenu, d'aller prendre des informations sur les réseaux sociaux simplement parce qu'ils n'ont plus le temps d'aller vérifier. Il faut également que les régulateurs fassent leur travail.”

Ensuite, plus de collaboration entre les acteurs et une prise de conscience partagée permettraient à ces actions de changer encore d’échelle.

“On a besoin de la collaboration parce que combattre la désinformation, les discours de haine, ce sont des combats qui nécessitent une approche multi-acteurs. On fait régulièrement plaidoyer pour que l'éducation aux médias soit introduite dans les programmes scolaires au Cameroun, parce que les phénomènes, pas seulement de la désinformation mais aussi du cyberharcèlement, ne font qu'aller de façon croissante”, affirme M. Andzongo.

“Les enseignants, ce sont nos premiers alliés. On les forme pour qu’eux-mêmes puissent faire de l'éducation aux médias parce que ce n’est pas que l'affaire des journalistes. Aujourd'hui, il y a une volonté du ministère de l’Éducation nationale, mais les enseignants soulignent qu’il n’y a pas d'heures dédiées proposées,” ajoute M. Guillemain.

“Nous, ce qu'on souhaite, c'est que l'éducation aux médias devienne une politique publique à part entière. Cela voudrait dire une politique publique plus large, qui irait au-delà des écoles, portée par plusieurs ministères. L’EMI, c'est un enjeu de citoyenneté qui dépasse aujourd'hui le cadre de l’école.”

par Sedera Ranaivoarinosy

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