Sénégal : Bassirou Diomaye Faye reprend la main sur le PM ousmane Sonko (par Douglas Mountain)

Sorti auréolé de son bras de fer politico judiciaire contre le président Macky Sall qui a duré trois ans (2021-2024), et qui a amené ce dernier à renoncer à un troisième mandat, Sonko n'a cependant pas pu se présenter à la présidentielle sénégalaise de Mars 2024 car il avait été condamné. Aussi il a appelé à soutenir la candidature de son compagnon de lutte Diomaye Faye, lui aussi en prison comme lui, mais qui n'avait pas encore été jugé. La justice a ordonné leur libération à 09 jours du scrutin, Sonko s'est personnellement engagé dans la campagne aux côtés de Diomaye Faye. Lorsque celui-ci a été élu dès le premier tour le 24 Mars 2024, Ousmane Sonko se voyait déjà le maître du Sénégal.
Dès les premières heures, en tant que Premier Ministre, on s’est immédiatement rendu compte que c’était lui qui prenait les décisions. Généralement le président s’occupe de la diplomatie et des accords internationaux, et le PM de l’économie et des affaires intérieures. Mais Ousmane Sonko avait tout verrouillé, ne laissant aucun espace au président Faye, effectuant de multiples déplacements, signant des accords ici et là. Selon un décret entré en vigueur en avril 2024, dès la formation du gouvernement, " tous les ministres étaient placés sous l’autorité directe du Premier Ministre". Ce fut la toute première polémique. Comme la majorité des pays africains, le régime au Sénégal est présidentiel, et non parlementaire. Le président reste le chef de l’exécutif, or ce décret consacrait sa mise sur la touche.
En juillet 2025, la cour suprême a confirmé en appel la condamnation de Sonko, dans une affaire qui l’opposait à la ministre du Tourisme sous Macky Sall. Il a écopé de 06 mois de prison avec sursis, et 200 millions FCFA de dommages et intérêts. Sonko a dirigé sa colère non vers les juges, mais vers le président Diomaye Faye qu’il a accusé publiquement de « manquer d’autorité devant une justice instrumentalisée ». Ce fut de nouveau la polémique, l’opinion était scandalisée. On lui reprochait de ne pas tenir compte de la séparation des pouvoirs.
En Septembre 2025, deux mois plus tard, lorsque Diomaye Faye rentre de l’Assemblée générale des nations Unis, il est accueilli à l’aéroport par le préfet de Dakar, aucun ministre n’est présent, une humiliation de plus. Visiblement Sonko n’avait pas fini de digérer sa condamnation et lui en faisait payer le prix. En réalité, il ne s’est jamais déplacé à l’aéroport pour accueillir le président lorsqu'il rentre d’un voyage officiel. Ailleurs en Afrique, c'est très souvent le PM qui accueille le président de retour d'un déplacement. Mais Sonko laisse cette charge aux ministres, désirant montrer que l’autorité du président ne s’exerce pas sur lui. Ce dernier joua l’apaisement. Mais il était évident qu’un jour il finirait par relever la tête, car il était de plus en plus marginalisé.
Le 08 Novembre dernier, sans qu’on en sache vraiment les raisons, (les municipales étant en 2027, et la présidentielle en 2029), Sonko convoque un gigantesque meeting du PASTEF, son parti ( auquel appartient aussi Diomaye Faye ). Une véritable démonstration de force, avec une participation estimée à cent mille personnes. On pense que des désaccords sont intervenus entre les deux hommes, et Sonko voulait certainement les porter sur la place publique, pour montrer encore une fois que c'est bel et bien lui qui "décide".
« Que celui qui veut s’affirmer descende dans l'arène », a-t-il lancé en guise de défi. Il est revenu sur son parcours politique, s'est attaqué au bilan de l'administration précédente, a rendu un hommage appuyé à une certaine Aïssatou Mbodj, coordinatrice de la coalition qui avait porté le parti PASTEF à la victoire lors de la présidentielle de mars 2024, et des législatives anticipées de Novembre 2024. Il a martelé qu’il n’y aurait pas de changement à la tête de la coalition. Quant à ses relations avec le président, il déclara « Certains espèrent une brouille entre le président Faye et moi. Dans la vie tout peut arriver. Mais ce qui pourrait nous séparer ne viendra pas de moi, et je présume aussi que cela ne viendra pas de lui ». La déclaration se voulait apaisante, mais elle montrait bien qu’une séparation n’était pas à exclure du fait certainement de désaccords, comme certains l'avaient anticipé.
Trois jours après le meeting, le président Diomaye Faye démet de ses fonctions Mme Aïssatou Mbodj, celle –là même que le PM Sonko avait plébiscité lors de son meeting et confirmé à son poste. Elle est remplacée par Mme Aminata Touré, une ancienne première ministre. Le président faye justifie sa décision par la nécessité de "réorganiser la coalition". C’est l’étonnement, la stupeur, la sidération. Personne ne s’attendait à une opposition aussi frontale de sa part vis-à-vis de son premier ministre. Il s’était toujours écrasé devant lui. Dès le lendemain, ce n’est pas le PM Ousmane Sonko lui-même qui réagit, mais le parti PASTEF, qui produit une déclaration stipulant "ne pas reconnaître au président Faye le pouvoir de démettre Mme Aissatou Mbodj".
Un autre bras de fer s’est aussi engagé concernant les négociations avec le FMI. Au cours du meeting, le PM Sonko a déclaré qu'il refuse toute restructuration de la dette sénégalaise, parce qu'elle prendrait en compte les dettes cachées sous l’administration du président Macky Sall. L'annonce a sonné comme une rupture des discussions avec le FMI. Mais il fut contredit quelques jours plus tard par le ministre des finances, qui déclara que les discussions se poursuivaient avec le FMI, précisant aussi que le Sénégal comptait régler toutes ses dettes (y compris celles récemment découvertes). L’annonce du Ministre des finances a clairement établi que les discussions se déroulaient désormais sous l’autorité du président Faye et non plus du PM Sonko.
Sonné, Ousmane sonko reste invisible pendant dix jours et n’assiste pas à deux conseils des ministres, officiellement il s’est "mis en congés". Des spéculations ont commencé à circuler sur sa démission, ce qui a amené des chefs religieux (très influents au Sénégal), et des personnalités de la société civile, à entreprendre une médiation. Le président Faye a rappelé à tous que sa décision de remplacer Mme Aissatou Mbodj était maintenue. Ousmane sonko a fini par reprendre ses fonctions à la primature, '' dans une atmosphère de décrispation générale" selon le communiqué qui a annoncé son retour.
Mais personne ne croit que les choses en resteront là. D’autres crises sont à prévoir, car Sonko reste dans une posture de défi vis-à-vis du président Faye. Pas vraiment question pour lui de se "soumettre". Alors que le président se rendait à Luanda les 24 et 25 Novembre dernier au sommet Union Africaine - Union Européenne, Ousmane sonko prenait l’avion la veille pour Abou Dhabi, un déplacement qui ne fut pas officiellement annoncé. C'est un média en ligne qui l'a révélé sur twitter. Ce fut encore la polémique, l’usage veut que l’un des deux chefs de l’Exécutif reste au pays quand l’autre se déplace. Il est clair que ce déplacement n’avait pas été coordonné entre les deux hommes. Il est possible que Sonko aurait voulu être à Luanda à la place du président Faye, ce que ce dernier aurait refusé.
Lors d’une séance au parlement le 29 Novembre dernier, Sonko déclare : « Je ne travaille pas pour Bassirou Faye, je travaille pour le Sénégal. Mais je travaille sous l’autorité du président Faye ». La première phrase de cette déclaration a fait la une de toute la presse sénégalaise. Difficile de ne pas y voir un défi larvé à l'autorité du président. Selon un hebdomadaire en ligne, le président Ouattara a tenté une médiation entre le président Faye et son prédécesseur Macky Sall à la fin du mois d'Octobre dernier. Sonko s'est mis en colère, pour avoir été écarté des discussions. Et comme pour tuer cette initiative dans l'œuf, il annonce la découverte d’un "compte caché" où auraient transité 1 300 milliards de CFA non répertoriés dans les comptes officiels, durant la présidence de Macky Sall.
Pour la presse sénégalaise, Sonko est responsable de la crise au sommet de l'Etat. On le dit obstiné, impatient, égocentrique, incapable d'attendre son heure. Rappelons que dans la crise qui l’a révélé durant le mandat de Macky sall, Sonko était accusé par une jeune femme de l’avoir violée à quatre reprises sous la contrainte d’une arme, dans un salon de massage. Il nia tout viol, mais admis s’être plusieurs fois rendu dans ce salon pour « traiter un mal de dos ». Cet aveu jette des doutes sur sa moralité, les salons de massage étant des lieux de prostitution déguisée. Par ailleurs, Sonko a refusé un prélèvement de son ADN pour le confronter à celui prélevé chez la plaignante, ce qui à priori laisse penser qu’il avait quelque chose à cacher. Il a été acquitté de l’acusation de viol, mais l’affaire reste une ombre sur son parcours.
Personne ne peut nier aujourd'hui le bicéphalisme au sommet du Sénégal. Le pays reste un navire avec deux capitaines, l’un devra être débarqué un jour. C’est une évidence. En toile de fond, il y a la présidentielle de 2029. Il ne fait aucun mystère que Sonko veut qu'il soit clair dans l'esprit de tous, que c'est lui et personne d'autre qui portera les couleurs du PASTEF. Pas sûr que Diomaye Faye voit les choses ainsi. Le pouvoir, on l'a maintes fois souligné, agit comme une drogue addictive. Difficile de s’en passer une fois qu’on y a touché. Ce n’est pas le président Ouattara qui dira le contraire. Interrogé sur 2029, le président Faye a dit qu’il était trop tôt pour y penser. Une réponse qui exaspère Sonko. Pour les analystes de la politique sénégalaise, dans l'esprit d'Ousmane Sonko, la campagne pour 2029 a déjà commencé, et pour lui le rival c'est Diomaye Faye.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales
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