Le Mali : le nouveau théâtre de la confrontation russo-ukrainienne (Douglas Mountain)
Photo: Mercenaires russes dans le désert malien. Ils ont jusque-là été la fer de lance qui a permis aux forces maliennes de conquérir de larges pans du territoire.
Du 25 au 27 Juillet dernier, l’armée malienne et les mercenaires russes du groupe "Africa Corps" (ex-wagner) affrontaient les rebelles touaregs du CSP-PSD aux abords de la ville de Tinzaouatine dans l’extrême Nord malien, à la frontière algérienne. Selon le bilan recoupé, entre 60 et 80 mercenaires russes, et une cinquantaine de soldats maliens seraient tombés. La colonne qui avait attaqué la ville a été décimée en deux batailles distinctes. Une première bataille aux abords de la ville face aux rebelles Touaregs, et une seconde lors de leur retrait vers la ville de Kidal plus au sud lorsqu’ils sont tombés dans une autre embuscade tendue par un autre groupe rebelle.
Les Touaregs ont fait des prisonniers russes, qu’ils ont exhibés dans une vidéo de propagande, et proposé de les "livrer" à l’Ukraine. Cette bataille a déclenché une véritable onde de choc sur le continent et à l’international. C’est à ce jour la plus lourde défaite des paramilitaires russes sur un champ de bataille. Le commandant du corps expéditionnaire russe a perdu la vie lors des combats, obligeant Moscou à réagir officiellement, pour réaffirmer que la Russie « se tenait fermement aux côtés du Mali ».
Si l’aide ukrainienne aux Touaregs est indiscutable, on ne sait pas en revanche quelle fut sa forme exacte. Certaines sources évoquent des images satellites en temps réel fournies aux rebelles, sur la progression des forces maliennes et paramilitaires russes, en vue de leur tendre une embuscade. D’autres font état de la livraison de petits drones suicides pouvant être facilement assemblés et opérés.
Les paramilitaires russes sont protégés par une combinaison à l’épreuve des balles. Ainsi ils n’ont pu subir de telles pertes que par l’utilisation d’armes explosives, soit des mines, soit des drones suicides qui ont frappé leurs véhicules. Dans leur communiqué, les Touaregs disent avoir tué 84 mercenaires russes, et prétendent avoir pris uniquement en compte dans ce bilan "les corps en état d’être comptés". Evidemment cela relève de leur propagande habituelle, mais on peut se faire à l’idée que certains corps ont été déchiquetés, ce qui confirme l’usage de drones suicides dont les Ukrainiens sont aujourd’hui des experts.
Les gouvernements africains dans leur ensemble (y compris la CEDEAO) ont unanimement condamné cette intrusion de l’Ukraine dans ce conflit. L’ambassadeur d’Ukraine au Sénégal a été convoqué par le ministre des affaires étrangères, après avoir relayé une vidéo où le porte-parole du renseignement ukrainien se félicitait de l’assistance de l’Ukraine aux rebelles Touaregs. Le ministre des affaires étrangères ukrainien qui était en ce moment en tournée sur le continent (Malawi, Zambie, île Maurice), était fort embarrassé.
A Kiev, les autorités se sont d’abord félicitées des pertes russes, laissant entendre qu’elles y avaient contribué, avant de rétropédaler et dire qu’elles n’y étaient pas impliquées. La communication ukrainienne a été assez chaotique. Elle semble avoir été prise de court par le retentissement de l'affaire, ne sachant s'il fallait s'en vanter ou faire profil bas. Pourtant ce n’est pas la première fois que l’Ukraine intervient dans un conflit en Afrique. Au Soudan, des drones ukrainiens sont intervenus pour le compte du général Al Burhan, en ciblant les positions de son rival, le général Hemitti, qui lui bénéficie de l'appui de mercenaires russes.
Quelle sera la suite sur le terrain au Mali ? C’est la question que tout le monde se pose aujourd’hui. La défaite de Tinzawaten (ou Tinzaouatine) est d’abord psychologique. Il y a avait un voile d’invincibilité qui entourait les mercenaires russes, grâce à qui les forces maliennes étaient en passe de bouter les rebelles Touaregs hors du Mali. Tinzawaten est leur dernière place forte. L’armée malienne a annoncé un "repli stratégique" sur la ville de Kidal, le bastion qu’elle leur avait repris en 2023. Va-t-elle de nouveau tenter de prendre Tinzawaten ? Ou alors les Touaregs, enhardis par leur victoire, vont-ils tenter de réinvestir Kidal ?
La prochaine confrontation sera décisive. On saura si la bataille de Tinzaouatine est un incident de parcours pour les maliens et leurs supplétifs russes, ou un retournement de la dynamique de ce conflit en faveur des Touaregs, ce que tout le monde redoute. Depuis lors, l’armée malienne bombarde régulièrement aux drones la ville de Tinzaouten, avec quelques succès puisqu’on rapporte ce mercredi 28 Août l’élimination d’un certain Mouslim Abou Hamza, un important commandant rebelle. Cependant il n’y a pas encore eu d’engagements terrestres. On remarque que pour la première fois, les Maliens n’ont pas vu la main de la France derrière leur déconvenue.
Le 26 Août dernier, le groupe Wagner publiait un communiqué sur la plate-forme telegram pour signaler qu’il ne se trouve plus en Ukraine depuis la mort de son chef historique Evgueni Prigogine en Août 2023. Un communiqué visiblement à l’intention de l’Ukraine, pour lui signifier qu’elle n’a plus aucune raison de porter assistance aux Touaregs. Pourtant il est peu probable que cette aide cesse. Elle sera plus discrète, mais va sans doute se poursuivre tant qu’il s’agit pour l’Ukraine de causer des dommages collatéraux aux Russes partout dans le monde. En cela le Mali est bien devenu un nouveau théâtre du conflit entre la Russie et l’Ukraine.
Le Cercle des Réflexions Libérales
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