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« Dialogue politique inclusif » : le deuxième nom de la transition ? (par Douglas Mountain)

Opposants front

L’opposition ivoirienne a appellé au dialogue politique avant la présidentielle de 2025. En 2000 elle appelait également au dialogue politique à la veille de la présidentielle. Pour le pouvoir, les institutions sont en place, et fonctionnent comme le prévoit la Constitution. Il n' y a donc pas besoin d'un dialogue. Vu de loin, on peut se demander pourquoi il refuse d’aller au "dialogue" si cela peut éviter une crise. Après tout, il est toujours bon de discuter. Le dialogue est l'arme des forts, disait le président Houphouët Boigny. Mais lorsqu’on scrute les choses de plus près, on se rend compte qu'organiser un tel "dialogue" dans une période aussi proche de la présidentielle peut comporter des risques majeurs pour le pouvoir en place.

D’emblée il faut savoir que dans un tel dialogue, une autorité doit pouvoir trancher lorsque les deux parties ne parviennent pas à s’entendre. Le président de la république ne peut exercer ce rôle puisque cela revient pour lui à être à la fois juge et partie. D’où la nécessité d’un médiateur, souvent est un religieux ou une personnalité externe (ancien chef d’Etat). Avant la mise en place du dialogue, il faut ainsi s'accorder sur le choix du médiateur.

On peut éviter d'avoir recours à un médiateur en s’accordant au préalable sur le mode de décision, sur la façon dont les débats seront tranchés. Les décisions peuvent être prises par "consensus" ou par un vote des délégués à la majorité simple ou qualifiée. Là encore, cela suppose qu’il faut s’accorder sur la composition des délégués.

Vient ensuite la question centrale des points à l’ordre du jour. De quoi va-t-on discuter ? Seulement des élections ? Ou de façon plus large des institutions et de leur fonctionnement ? Va-t-on remettre à plat le fonctionnement et la composition de la commission électorale, où va-t-on aussi plancher sur la justice, le financement des parties,.....etc.....?

Une autre question tout aussi cruciale sera le délai imparti à ce dialogue. Si un dialogue est décidé maintenant, cela suppose un report de la présidentielle. Or une fois passée la date de la présidentielle telle que décidée dans la constitution, les institutions en place perdent leur légitimité. Il faut alors songer à la mise en place d’un gouvernement intérimaire qui va gérer les affaires jusqu’à l’organisation d’un scrutin. Ce sera de facto une transition qui sera en place. Si ce dialogue intervient siffismament "loin" de la présidentielle, alors le risque d'une transition est écarté.

Une fois mis en place, le "dialogue national" va détenir une sorte de pouvoir supra national. C’est ce qui sera adopté qui aura force de loi, au détriment des dispositions constitutionnelles. Il faut bien avoir cela à l’esprit. A travers ce dialogue, le pouvoir de décision sera partagé entre le pouvoir, l’opposition, et éventuellement le médiateur. Ce dialogue va contraindre le pouvoir à une sorte de cohabitation avec l’opposition.

Ainsi l’appel au " dialogue politique inclusif " que lance l’opposition en Côte d’Ivoire à chaque présidentielle n’est pas une affaire simple, contrairement à ce qu’on pourrait penser. De grosses questions de fond doivent être résolues au préalable. Il faut s'entendre sur les points qui ont été énumérés. Cela ne se fera pas en un jour. Car les enjeux ont trait à la gouvernance de la nation. Ensuite, discuter sur les thématiques arrêtées et parvenir à des points d'accord prendra encore du temps. C’est un peu ouvrir la boîte de pandore. Le pouvoir y voit un piège qui mène vers une transition qui ne dira pas son nom. Et surtout, il redoute de partager son autorité, son pouvoir de décision avec l’opposition, si un tel dialogue s’ouvre.

Dès le lendemain des résultats de la présidentielle 2020, l'opposition ivoirienne a proclamé un "conseil national de transition" . Ce qui suggère que le projet a été mûri bien avant. Vise-t-elle de nouveau une "transition" par son appel au "dialogue politique inclusif " ? Le pouvoir le pense, mettant en avant les séances de "dialogue politique" avec l'opposition entre 2001 et 2023. Pour lui, si l'opposition réclame un dialogue juste avant la présidentielle, c'est tout simplement qu'elle veut une transition.

La Côte d’Ivoire a déjà connu une transition en 2000. Tout a été remis à plat du point de vue constitutionnel. Mais cela n’a pas empêché d’abord une crise lors de la présidentielle de 2000, ensuite une crise militaro politique deux années plus tard, qui s’est soldée huit années plus tard par une autre crise touche aussi profonde. En fait, la transition n'a pas mis le pays à l'abri des crises.

Madagascar vient d'entrer dans une nouvelle transition depuis le 17 Octobre dernier, après le renversement du président Ange Rajoelina, suite à des manifestations contre les coupures d’électricité. Le pays en est ainsi à sa troisième transition, après celle de 1990, et celle de 2009 à 2013. Ce pays n’est pas le seul en Afrique dans cette configuration. Une majorité d'Etats, surtout francophones, ont connu plusieurs transitions depuis les années 1990. Sont-ils pour autant stable aujourd’hui ? Ironie de la situation malgache, c’est le président déchu qui a dirigé la transition de 2009 à 2013. Le pouvoir agissant comme une drogue addictive, il est à craindre que le colonel désormais à la tête du pays ne s'engage dans une "transition sans fin".

De même qu’un putsch en appelle un autre, une transition en appelle aussi une autre, tout simplement parce qu’une transition c’est la continuité d’un putsch, c’est l’habillage d’un putsch en habits constitutionnels. Une transition permet à des acteurs d’exercer le pouvoir sans passer par la case élection. Ainsi elle peut difficilement conduire à la stabilité parce qu’elle acte le principe du renversement d’un pouvoir élu, et la mise en place d'autorités non élues. Aujourd’hui on le voit, partout où il y a une transition, la démocratie ne ressort pas vraiment renforcée.

Douglas Mountain
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Le Cercle des Réflexions Libérales

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