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Les Pionniers à propos des nouvelles technologies digitales / Le nivellement par l'IA

Informatique IA


Lors d’une première interaction avec ChatGPT, nous avons tous à peu près la même réaction : “Wow… c’est fort !” On a l’impression d’interagir avec un humain qui répond vite et bien, alors qu’on parle à une machine.

Capables de générer du texte, des images et des sons instantanément et au plus près de la requête de l’utilisateur, les intelligences artificielles justement dites génératives sont de plus en plus bluffantes, et préoccupantes : se rapprocherait-on du fameux point de singularité technologique tant redouté par Elon Musk ? À partir de ce point, on ne saurait plus déterminer si l’on interagit avec un humain ou avec une machine, et au-delà, la machine développerait une volonté propre, et déclencherait un phénomène d’emballement constituant une menace pour l’humanité, surpassant l’humain en intelligence dans à peu près tous les domaines, de l’économie à la politique, jusqu’à la stratégie militaire.

Cependant si le contenu généré par les IA génératives semble créé à partir de rien, il n’en est justement rien ! Le mot « GPT » est un sigle signifiant « Generative Pre-trained Transformer » (« transformeur génératif pré-entraîné »). ChatGPT ne produit donc pas un contenu original. C’est certes un contenu nouveau - peut-être cette phrase n’a-t-elle jamais été écrite - mais il n’est que le résultat d’un assemblage de contenus déjà existants. En clair, c’est du réchauffé…Lorsque l’utilisateur questionne une IA générative, celle-ci s’appuie sur la base de données avec laquelle elle s’est entraînée pour produire la réponse “la plus probable”, et génère chaque nouveau mot en fonction de sa cohérence avec les précédents. Ainsi l’IA générative consulte le passé pour écrire ce qui nous apparaît comme futur en tant que réponse à notre question, et elle n’a pas a priori de réelle vision globale de cohérence ou de pertinence du propos dans son ensemble. Les contenus produits ont l’apparence du nouveau, mais sont parfois faux ou qualifiés d’hallucinants, et ne sont qu’une synthèse probabiliste de tout ce que l’IA a ingéré.

Il n’en reste pas moins que la synthèse est impressionnante. Des étudiants de la prestigieuse université américaine de Wharton ont récemment été mis en concurrence avec ChatGPT dans l’élaboration de produits, qui étaient ensuite présentés à un panel d’acheteurs devant leur attribuer une note en fonction de leur envie de les acheter. Quand les étudiants de Wharton ont obtenu une intention moyenne d’achat de 0,404, ChatGPT a obtenu 0,468, et jusqu’à 0,493 lorsqu’on lui donnait des exemples de produits jugés bons.

Il semblerait donc que l’IA soit plus efficace que l’humain sur la génération de variations de concepts existants, et sache très bien concevoir quelque chose qui nous fait plaisir : elle va plus loin, plus haut que nous sur une échelle prédéfinie. Nous connaîtrait-elle mieux que nos congénères ?

Le match IA vs GH - L’Intelligence Artificielle face au Génie Humain

Alors penchons-nous sur la dimension potentiellement la plus imprévisible de l’IA : sa créativité. On a l’impression de parler à un humain tant ces modèles sont entraînés à créer l’illusion, mais l’IA peut-elle être au moins aussi créative que le GH, le Génie Humain ?

L’IA va-t-elle nous doubler et créer un chaos pour nous dans son intérêt, ou bien va-t-elle niveler par le milieu nos capacités créatrices en nous assistant “moyennement” ? Peut-être les deux…

Qu’est-ce que la créativité ? Par exemple, est-ce qu’une pomme tombant sur un clavier d’ordinateur déclencherait l’élaboration de la loi de la gravitation universelle par une IA ? Probablement pas, sauf si la gravitation universelle fait partie des textes sur lesquels l’IA s’est entraînée…

Mais dans tous les cas, Newton n’était donc pas une IA, mais bien un GH !

Dans le monde de l’art, beaucoup pensent que l’IA va révolutionner (ou ruiner) l’écosystème car elle enlève en partie aux artistes leur qualité de créateur. Même Sean Penn descend dans la rue aux côtés des acteurs et scénaristes d’Hollywood inquiets du sort que leur réserve l’IA. Mais est-ce qu’en s’inspirant de Rembrandt, Vélasquez, Cézanne ou Matisse, l’IA produirait du Picasso ? L’IA réplique et varie, elle améliore, mais elle n’occasionne pas a priori l’apparition d'œuvres originales, ou de concepts révolutionnaires.

À force de synthétiser des synthèses de synthèses, l’IA promeut une sorte de nivellement par le milieu. Une stagnation dans la moyenne, sans vague, sans envolée, sans créativité en somme. Aussi, Luc Julia (ingénieur créateur - entre autres - de Siri) affirme que les programmes d'IA analysent des données, détectent des motifs et des corrélations, puis effectuent des actions en fonction de ces analyses, mais qu’ils n’ont pas de véritable compréhension ni de conscience.

Alors en avons-nous vraiment nous-mêmes, de la créativité et de la conscience ? Après tout, nous sommes assez similaires aux IA dans notre développement, en ce que tous nos choix et toutes nos créations sont influencés par ce que nous avons vu, entendu, ingéré durant notre vie. Et nous sommes parfois tout aussi capables que l’IA d’affirmer des choses fausses ! Mais telle que formulée par Margaret Boden (professeure en sciences cognitives à l'Université du Sussex), une chose fondamentale diffère : nous pratiquons la créativité transformationnelle. Alors que l’IA est confinée au royaume de ce qui a déjà été et de ses parallèles, l’homme peut, lui, voir dans “ce qui pourrait être” et dans l’improbable. Et c’est cette forme de créativité qui permet notamment à des entrepreneurs de construire le futur dans le présent, et de fédérer autour de ce qui n’existe pas encore. Une IA aurait-elle pu créer un avion en regardant les oiseaux voler, BlaBlaCar en s’inspirant de l’auto-stop, Back Market en regardant les gens réparer et s’échanger des téléphones portables ou Doctolib en observant les prises de rendez-vous médicaux par téléphone ? Pas sûr…

Il semble donc que si l’IA sait peut-être mieux que l’humain “gravir une montagne”, l’humain lui, sait “changer de montagne” : inventer.

L’IA au service de notre créativité

L’IA est un nouvel outil, une nouvelle machine puissante qui va accompagner notre futur. Nous devons apprendre à l’utiliser, en étant conscients de ses forces mais aussi de ses limites. C’est une nouvelle révolution Schumpeterienne qui se dessine, et les enjeux colossaux qui se dressent devant nous, tant sociaux qu’environnementaux, nécessitent l’activation de notre créativité transformationnelle, pour inventer et surmonter une nouvelle fois une phase de destruction créatrice.

De la même manière qu'on n'assure pas le futur d'une entreprise en regardant dans les comptes des années précédentes, ou qu’on ne conduit pas une formule 1 le regard fixé sur le rétroviseur, on ne se prépare pas à des crises comme la pandémie ou le changement climatique en reproduisant les méthodes anciennes.

Dans un monde qui a besoin de se réinventer, le salut est donc plutôt à chercher du côté des humains et de leur capacité à créer et à s’adapter. Dans cette mission, ils ont un nouvel allié pour réfléchir plus vite : l’intelligence artificielle. Plutôt que d’opposer créativités humaines et artificielles, ou de craindre le remplacement de l’une par l’autre, nous devons utiliser l’IA et ses capacités impressionnantes pour améliorer, faciliter et accélérer notre processus créatif. C’est d’ailleurs la mission soulignée par France Digitale dans ce domaine : mettre l’IA au service de l’humain et de la planète, et non l’inverse ! Mais si l’IA ne doit pas être considérée comme une forme d'intelligence autonome, comment peut-elle être déployée en tant qu'outil puissant pour améliorer divers domaines tels que la médecine, l'industrie, l'éducation, le climat ?

Hommes et intelligence artificielle excellent dans des domaines différents, et il faut nous rappeler lesquels ils sont, afin de demander les bonnes tâches aux bons interlocuteurs. Traitement rapide des données, apprentissage automatique et reconnaissance de structure pour l’IA. Et tout le reste pour l'humain !

Que pense ChatGPT lui-même quand on lui demande ce que l'humain possède et sait faire, que lui ne sache pas ? Voici sa réponse, à peu de chose près : la Conscience, le Raisonnement moral ou éthique, l’Empathie, l’Humour, l’Art, la Tolérance, l’Intuition, l’Originalité et la Non-linéarité (la capacité à aborder des problèmes sous des angles nouveaux). Un programme plutôt sympathique : c’est la C.R.É.H.A.T.I.O.N, avec un H comme Humain !

Ainsi, malgré l’avènement des machines, on peut encore prédire de belles années à la plus vieille d'entre elles… notre cerveau.

Source : Tribune "Le nivellement par l'IA" parue dans l'Opinion le Lundi 7 août 2023

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