Littérature / Canada : Le premier Prix de l’essai LQ attribué à Pierre Lefebvre pour "Le virus et la proie"
Crédit photo : Marlène Gélineau Payette
Montréal - Le tout premier Prix de l’essai LQ (Lettres québécoises), créé en collaboration avec Les Correspondances d'Eastman, a été attribué à Pierre Lefebvre pour son ouvrage intitulé "Le virus et la proie". Ce texte magistral sur la colère et le sentiment d’impuissance face au pouvoir et à sa violence mérite amplement cet honneur. Extrait.
« Monsieur,
Vous ne lirez pas cette lettre. C’est de ma faute. Je n’ai pas assez d’imagination ou de force ou de je ne sais pas quoi pour me faire entendre de vous. J’ai beau m’époumoner, marmonner, chuinter, crier, braire, le résultat est le même : dérisoire. La distance qui se trouve là, entre nous deux, je ne sais pas comment la traverser, ni non plus la réduire. J’aimerais pouvoir l’user, m’installer dans la longueur du temps et, à force de patience, comme le fait l’eau avec la roche, la rendre friable jusqu’à l’amener, un moment donné, à péter tout d’un coup, mais ça non plus, je ne suis pas capable de le faire.
Je ne vous écris pas une lettre, monsieur, je vous fais un aveu d’impuissance.
Même quand je me tais, vous ne m’entendez pas. Mon silence, vous n’en percevez ni la couleur, ni la texture, ni le sens. Que je vous parle ou non, que je sois là ou non, c’est pour vous du pareil au même, c’est à peine si je suis un bruit blanc, un fantôme.
Mon incapacité à me faire entendre de vous est sans fond. Elle n’a pas de début, ni non plus de milieu ou de fin. On dirait un océan qui recouvrirait l’entièreté de la Terre, une étendue de vagues sans rivages, ni d’un bord ni de l’autre. Ça ne ressemble à rien. Mon incapacité à me faire entendre de vous n’a pas d’égal, monsieur, même si ce n’est pas tout à fait juste ; son égal, son miroir, c’est votre incapacité à m’entendre. »
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Seydou Koné, avec Ecosociétés
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