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"93% des décisions de l'Union africaine ne sont pas mises en œuvre !" (José Maria Neves sur TV5)

Jose Maria Neves president Cap Vert

Tensions dans la Corne de l'Afrique, guerre dans l'Est de la République démocratique du Congo, délitement diplomatique et sécuritaire en Afrique de l'Ouest, crise politique au Sénégal... Le 37e Sommet de l'Union africaine s'est tenu ce week-end à Addis Abeba. Parmi les dirigeants présents, le président du Cap-Vert, José Maria Neves déplore l'inertie de l'organisation panafricaine et son impuissance face à la multiplication des crises.

TV5MONDE : Vous avez participé ce week-end au Sommet de l’Union africaine. Vous étiez venu, notamment, défendre une réforme de l’institution. Avez-vous été entendu ?

José Maria Neves, président de la République du Cap Vert : Il est très difficile de concrétiser les décisions. Pour cela, il me semble très important de faire la réforme du système de gouvernance au niveau de l'Union africaine. Il est nécessaire de créer les conditions de la répartition des travaux entre l'Union, les organisations régionales et les États pour garantir la distribution des responsabilités et, ainsi, garantir que toutes les décisions seront effectivement mises en œuvre.

Mais vous estimez ne pas avoir été entendu. Cela n'a pas vraiment avancé pendant ces trois jours à Addis Abeba.

Il y a la volonté, il y a des décisions, mais il n'y a pas capacité à mettre en œuvre ces décisions. C'est pour cela que je considère comme très importante la réforme du système de gouvernance de l'Union africaine pour la création d'institutions politiques et économiques inclusives capables de garantir la résolution des revendications des Africains.

Dans le cadre d’une réforme telle que vous la souhaitez, quelle serait, par exemple, la répartition des rôles entre l’Union africaine et la Cédéao, l’organisation ouest-africaine à laquelle appartient votre pays ?

Je pense que les organisations sous-régionales, comme la Cédéao, doivent se concentrer sur la question de l’intégration régionale. Les questions de la gouvernance, de la démocratie, de la paix, sécurité, stabilité, etc... doivent, quant à elles, être concentrées au niveau de l'Union africaine. Actuellement, la diffusion des pouvoirs entre les différents niveaux de gouvernance en Afrique nuit à la concrétisation des décisions qui sont prises.

Prenons, pour bien comprendre, un exemple concret qui touche la Cédéao actuellement. Il y a quelques jours, trois de ses États-membres, le Burkina Faso, le Mali et le Niger réunis sous la bannière “Alliance des États du Sahel”, ont décidé de claquer la porte de l’organisation. Comment serait gérée cette crise si la réforme que vous soutenez était mise en œuvre ?

Je pense que la Commission de la paix et sécurité de l'Union africaine doit gérer cette situation-là avec distance, avec objectivité, avec unicité de critères et garantir que les pays sous rupture constitutionnelle, puissent faire une transition pacifique vers la démocratie. Il est nécessaire que le Conseil de sécurité de l'Union africaine puisse travailler directement avec le concours des Nations unies et avec tous les pays qui sont dans cette situation. Je rappelle que la question de l'intégration régionale est la mission initiale de de Cédéao et des autres organisations sous-régionales. L'Union africaine doit agir dans les domaines de la sécurité, stabilité, et gouvernance.

Prenons, par exemple, la situation au Sénégal. Elle démontre l’importance du fonctionnement des institutions. Si la justice est indépendante, la démocratie fonctionne. Il est essentiel de travailler pour créer les institutions politiques et économiques inclusives, capables de garantir le renforcement de la démocratie et de créer des conditions nécessaires pour le développement durable du continent.

Comment se manifeste ce blocage institutionnel ? Est-ce que vous sous-entendez que certains États font de la résistance ?

Non, c'est une résistance silencieuse au niveau de toutes les institutions ! 93% des décisions ne sont pas mises en œuvre ! Il y a beaucoup de blocage au niveau du système de gouvernance de l'Union africaine. Il n'y a pas un pays, une organisation qui coince, mais c'est le fonctionnement du système.

Il faut une réforme structurelle de l'Union africaine et une autre distribution du travail entre l'Union, les organisations sous-régionales et les pays. C’est un immense chantier dont j’ai pu parler ce week-end avec le président kényan William Ruto qui a été nommé “champion de l'Union africaine pour la réforme institutionnel de l'Union africaine”. Je suis disponible pour travailler avec lui dans les processus de réforme. Nous devons avoir un agenda.

L'Afrique a beaucoup de capacités, beaucoup de possibilités, de talents. Nous le voyons dans le domaine du sport, de la musique. Il y a beaucoup de capacités d'innovation. Il y a une population jeune. Il manque aujourd’hui la capacité de mobiliser toutes les ressources, et faire que l'Afrique puisse accélérer le processus de de développement.

Nous devons être capables de résoudre les crises. Nous devons être capables de prioriser les résolutions des crises avec des institutions inclusives.

Par la voix de son président Azali Assoumani, l'archipel des Comores s'est félicité de son année de présidence de l'UA et du rôle qu'un petit pays comme le sien, un pays insulaire, a pu jouer pour l'Union africaine. Il estime que c'est un vrai changement. Ce discours a dû vous parler ?

Au niveau de l'Union africaine, les petits pays insulaires peuvent jouer un rôle très important. Nous avons beaucoup d'expérience dans le domaine de la gouvernance et du développement. Les îles du Cap-Vert, Maurice, les Seychelles ou les Comores ont une contribution très positive pour le développement de l'Afrique.

La Mauritanie a pris pour cette année la présidence de l’Union. La Mauritanie, n’a certes qu’un pied dans la Cédéao (elle n’est plus que membre observateur après avoir quitté l’organisation en 2000), mais en tant que président du Cap-Vert, qu’attendez-vous de ce retour de l’Afrique de l’Ouest à la présidence de l’UA ?

J'espère que la Mauritanie fera une bonne présidence et qu’il sera alors possible de faire des réformes nécessaires à la mise en œuvre des décisions. C'est une question critique.

TV5monde

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