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Intellectuels ivoiriens: La parole absente !

 Moritié Camara

S’il ya un silence qui n’apporte rien à la conversation c’est celui des intellectuels. Dans notre pays, ce silence qui s’apparente plus à un renoncement, induit l’impression d’une République sans philosophes.

Habituellement, lorsque l’on jouit du privilège d’une telle reconnaissance, on est rebelle à se laisser porter par les événements. C’est pourtant la donne qui prévaut depuis que nos intellectuels ont abdiqué dans l’animation du débat public face à d’anciens rédacteurs de tracts qui tenaient une comptabilité assidue des biens supposés mal acquis ou des frasques familiales de telle ou telle personnalité.

Ayant largement contribué à porter sur les fonts baptismaux la presse dite libre dans les années 1990, ces derniers n’ont ainsi eu aucun mal à imprimer les codes de ce type de littérature à une presse essentiellement d’opinion qui tout en s’exonérant de toute nécessité d’objectivité, a réduit durant de trop longues années tous les concepts qui auraient pu être analysés, en slogans simplistes, avant de les infliger à ses lecteurs.

C’est ainsi que les ivoiriens ont été sensibilisés à leur corps défendant à ce type de « débats » portés par des articles corrosifs qui ont toujours questionné leurs émotions et jamais leur raison. Toute chose qui n’a pas manqué d’influencer de façon particulière la compréhension qu’ils ont de la démocratie et de rendre rébarbatif aux yeux d’un grand nombre d’entre eux tous débats intellectuels.

Le vice de cette situation qui constitue aussi l’enclume qui restera lourde à porter par les universitaires, est leur participation à la promotion de cet état de fait.

En effet, beaucoup parmi ces leaders d’opinion étaient des universitaires qui avaient également la casquette d’hommes et de femmes politiques et qui ont su habillement exploité cette psychologie pour servir aux populations des discours populistes arrimés à des postulats essentiellement subjectifs pour prospérer.

Ce système a produit sa propre logique en faisant des hommes politiques et des journalistes, les seuls animateurs des débats publics dans notre pays.

Tout le monde s’est satisfait de cela et tout le monde a eu tort.

Nonobstant, tout le mal que ce cela a causé à notre pays dont nous avons suffisamment parlé, il a surtout sevré les ivoiriens de véritables débats d’idées et développer la confusion dans leur esprit entre ce qui est essentiel et ce qui l’est moins, entre lettrés et intellectuels.

Pour cesser de recevoir les « compliments » de certains lors de rencontres internationales qui tiennent à louer « la légendaire discrétion des intellectuels ivoiriens », il est temps de mettre fin à cette impression d’hécatombe de rossignols que représente l’extinction de la voix de nos intellectuels dans la sphère publique. C’est une nécessité face aux défis politiques, économiques et diplomatiques de l’heure.

En effet, dans un pays où suivant une loi non écrite mais strictement respectée depuis 1990, l’opposition n’est fondée à tracasser le gouvernement que sur les questions électorales en se gardant d’émettre la moindre opinion sur tous les autres aspects de sa politique, les gouvernants ont besoin d’un miroir qui leur renvoie les reflets de leurs postures. Le gouvernement à qui le peuple a confié le soin de faire les choix pour lui, peut être animé des meilleures intentions, mais il lui est impossible d’être assis à sa fenêtre et se regarder dans le même temps passer dans la rue.

Dans l’intérêt de tous, il faut donc un regard venant d’une autre perspective afin de juger les choix opérés et rectifier les démarches entreprises.

Nos intellectuels doivent, sans attendre une convocation autre que celle consubstantielle à leur statut, apporter sans blasphèmes ni injures leurs pierres à la construction nationale.

Les gouvernants seront eux bien inspirés de ne pas être mécontents, mais plutôt d’encourager l'inscription sociale de la fonction « d’intellectuel » dans notre société, eux qui généralement par atroce marché, ne cooptent que ceux des intellectuels qui se trahissent pour être les thuriféraires de causes partisanes.

Comme un oiseau sur la plus haute branche, donc loin de toutes les influences partisanes, nos intellectuels pourront jeter un regard global et froid sur notre société entière afin de susciter et de mener des débats libres, impartiaux et éclairés autour et sur les questions qui engagent l’avenir du pays.

Des débats qui auront pour substrat les intérêts, la place et le rôle que les ivoiriens espèrent pour la Côte d’Ivoire dans un monde sans certitude désormais. Leurs lumières seront plus vertueuses et profitables que celles de « ces experts » habituellement consultés et dont les opinions qui procèdent rarement de connaissances empiriques et largement forgées à parti de confidences colportées, de statistiques établies par d’autres et de fuites « savamment orchestrées » par certaines officines, sont rarement exemptes de suspicions diverses.

Le devenir de la Côte d’Ivoire doit être celui que les ivoiriens dans toute leur diversité désirent. C’est donc à eux tous d’en débattre sans pressions ni promesses. Il ne fait aucun doute cependant que ce débat sera vertueux et bénéfique s’il est arbitré et encadré par les intellectuels.

Mais si ces derniers persistent à garder leurs protestations et leur satisfecit pour eux, alors les intellectuels de la nouvelle génération seront leurs successeurs et non leurs héritiers et l’oubli de leur personne sera leur condamnation.

Moritié Camara
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Article publié dans pour la première fois dans le quotidien gouvernemental Fraternité Matin, le 17 Mai 2017 et republié 5 fois dans le même journal entre cette date et le 20 Juillet 2018.

( Mes appels incessants du pied ont modestement contribué à faire bouger les lignes depuis lors. Aujourd'hui, on entend beaucoup d'universitaires se muer en commentateurs d'actualité et hanter les plateaux de télévision pour dire des paroles. Seulement il faut faire une différence entre universitaires et intellectuels, tout comme entre analystes et commentateurs d'actualité)

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