Les grands mystères : Retour sur les circonstances de la mort du président Idriss Déby Itno du Tchad en 2021 (Douglas Mountain)
La disparition du président Idriss Deby du Tchad le 20 avril 2021 reste l’un des mystères de l’histoire récente de l’Afrique. Comment a-t-il exactement perdu la vie ? Il est "mort aux combats" selon la version officielle, une formulation vague qui laisse la place à toutes les théories. Aucun détail n’est fourni. A ce jour le flou demeure. Il totalisait trente ans de règne à la tête de ce grand pays sahélien d’Afrique centrale (Décembre 1990 – Avril 2021). Sa veuve a ouvertement demandé que "la lumière soit faite" sur la disparition de son époux. Sur Wikipédia, les circonstances exactes de son décès ne sont pas élucidées, seulement des hypothèses. Des médias occidentaux ont entrepris des enquêtes, sans pour autant établir la séquence exacte des évènements. Sa dépouille n’a pas été exposée afin que le peuple puisse se recueillir comme cela se fait un peu partout.
L'entourage de l'homme a visiblement caché certains détails. Le président Deby Itno affichait certes une apparente solidité sur ses jambes, mais n’avait plus sa fougue de jeune homme. Miné par la maladie, il n’exerçait plus de commandement opérationnel sur l’armée depuis des années, à fortiori participé à des combats. Tout reposait sur son fils, Mahamat Déby (l’actuel président) qui dirigeait la garde présidentielle. Il avait commandé le détachement tchadien au sein de la MINUSMA au Mali, et avait été promu général 04 étoiles par son père à 37 ans. C’est lui qui dirigeait les troupes lors des combats au cours desquels son père fut tué.
Car le Tchad reste un pays accoutumé aux rébellions. Le président Déby lui-même était ce qu’on peut appeler un "seigneur de guerre". Il renversa le président d’alors Hissen Habré en Décembre 1990 à la tête d’une colonne qui avait pénétré le pays depuis la frontière soudanaise. Lui-même faillit à plusieurs reprises être renversé selon le même schéma. En 2008, des rebelles étaient parvenus jusqu’aux portes du palais présidentiel de N’Djamena avant d’être finalement repoussés. En trente années, l’armée tchadienne a cependant acquis du métier, c’est l’une des armées les plus efficaces du continent. Elle s’est plusieurs fois projetée en dehors du Tchad. Difficile de croire que son chef qui n'avait plus rien à apprendre des combats dans le désert, puisse être aussi facilement tué par une rébellion qui ne représentait pas vraiment un danger existentiel pour le régime. Retour sur les faits.
Le 11 Avril 2021, le jour même de la présidentielle, des combats éclatent à la frontière libyenne entre l'armée et le FACT ( Front pour l'Alternance et la Concorde au Tchad), un groupe de rebelles parmi tant d'autres. Le samedi 17 Avril, dans un communiqué lu à la télé, l’armée tchadienne affirme avoir « complètement détruit » la colonne rebelle. Elle reconnaît cependant que « le ratissage continue pour débusquer les derniers fuyards », en d'autres termes les combats se poursuivent. Mais ce même jour au soir, les derniers renseignements (français et tchadiens) en possession du président Deby font état d’une percée rebelle au nord de la ville de Mao, située à quelques 300 km de la capitale N’Djamena, vers la frontière nigérienne. Contre l’avis de son entourage, le président deby décide de se rendre "sur le front".
Ce samedi 17 avril, soit six jours après le début des combats, aux environs de 22h, son convoi quitte discrètement la capitale. Il ne s’agissait pas "d'aller se battre". Il désirait se faire une idée précise de la situation, donner des instructions, éventuellement remanier le commandement des opérations. Il désirait avant tout comprendre pourquoi cette affaire durait. Sur le terrain, les rebelles disposaient de canons anti-aériens qui leur permettaient de viser les positions gouvernementales à plusieurs km de distance, ce qui compliquait la tâche de l'armée, mais celle-ci avait néanmoins l’ascendance dans les combats. Il n' y avait pas péril dans la demeure. Le convoi du président arrive dans la zone de Mao au petit matin du Dimanche 18. Il établit son camp à quelques km en dehors de la ville, le front ( la zone des combats ) était à environ 50 km plus au nord vers la frontière nigérienne. A partir de là, les versions divergent sur la suite des évènements.
Selon une première version, le président Deby aurait péri dans une réunion qui aurait dégénéré avec des commandants revenus du front avec lesquels il faisait le point. Il faut rappeler que deux mois plus tôt, des soldats s’étaient déportés au domicile de l’opposant Yaya Dillo pour son arrestation. L’homme put leur échapper, mais sa mère fut tuée. Ce fut l’indignation dans le pays, et dans l’armée. Cette vieille dame étant la demi-sœur du président ( certains disent une cousine proche ), avait des liens de parenté avec plusieurs généraux, le haut commandement de l'armée étant composé essentiellement de parents du président. Il se dit que l’un des participants à cette réunion (parent à cette femme) aurait fait feu sur le président Deby. Une variante de cette version veut que le président ait péri au cours d'une réunion tenue avec les officiels du FACT avec lesquels il tentait de trouver un "accord".
Une seconde version veut qu’ après avoir été dispersée, une colonne du FACT se serait reconstituée derrière les lignes gouvernementales, aurait localisé le camp du président Deby, et engagé les hostilités. Enfin selon une troisième version, le président se serait rapproché un peu trop près du front et aurait reçu des projectiles en pleine poitrine, les rebelles on l’a signalé disposaient de canons anti-aériens leur permettant de viser à plusieurs km de distance.
Pour essayer d'y voir un peu plus clair dans toutes ces versions, il faut prendre en compte un élément capital. Le 19 Avril, soit le lendemain de l'arrivée sur zone du président Déby, le groupe rebelle ( le FACT ) publie sur son site une liste d'une demi douzaine de généraux tués, et un certain nombre blessés, au nombre desquels le président Deby, suite à des combats au cours desquels l'armée tchadienne aurait "pris la fuite".
Ce communiqué avait tout de la propagande. Personne n'y a prêté attention sur le moment. C'est bien après qu'on s'est rendu compte que les chiffres du FACT concordaient avec les évènements. On sait aujourd'hui que 06 généraux et 07 officiers supérieurs furent tués en même temps que le président Deby. Il faut savoir que dans le désert, les armes ( mitrailleuses, canons, ........) sont montées sur des pick-up et les combats se font à distance. Ce ne sont pas des combats rapprochés, et les généraux sont le plus souvent loin derrière le front. Le fait que plusieurs généraux aient perdu la vie au cours d'une seule bataille, est inhabituel, et laisse à penser que les combats se sont déroulés dans un petit espace, où tout ce monde était regroupé. Le communiqué du FACT précise l'identité des généraux et officiers supérieurs tués et ceux blessés et en "fuite" selon ses termes, ce qui suppose des combats rapprochés, et par conséquent accrédite la thèse selon laquelle une colonne du FACT s'est reconstituée derrière les lignes gouvernementales, a localisé et attaqué le camp du président. Il n' y a pas d'autres explications.
Ainsi le président Déby arrive sur zone le 18 Avril au petit matin. Il établit son camp en dehors de la ville de Mao, et commence à s'entretenir avec ses généraux et des officiers revenus du front. Mais une colonne du FACT, dispersée la vieille, s'est reconstituée en partie, derrière les lignes gouvernementales, a repéré le camp du président, et l'a attaqué, certainement le 19 avant l'aube. Le président et ses hommes ne s'attendaient pas à des combats, ceux-ci étaient censés se dérouler à quelque 50 km du lieu où ils se trouvaient. La surprise fut totale et à l'avantage des rebelles. Le président Deby est certainement exfiltré blessé de la zone. On fit venir de N'Djamena un hélicoptère pour l'évacuer, mais il succombe à ses blessures avant que la capitale ne soit atteinte.
Comment la colonne du FACT a-t-elle pu localiser le camp du président Déby ? Mystère. Il semble aujourd'hui admis que le commandement du FACT connaissait la position de ce camp et l'a communiqué à ses hommes sur le terrain. Là réside la dimension complot de cette affaire. Idriss Déby a certainement été trahi par quelqu'un qui appartenait au premier cercle de ses fidèles. Avec près de cinquante ans d'expérience de combats dans le désert, l'homme savait les dispositions à prendre quand il se rapprochait du front. En fait les combats l'ont surpris lui et son entourage, encore une fois on retombe sur le fait que son camp a été attaqué parce que l'ennemi en connaissait la position.
C'est une fin assez humiliante pour un chef de guerre. Il y avait sans doute une certaine débandade dans ce camp lorsque la colonne des rebelles a surgi. Le président a certainement été directement et massivement ciblé par les tirs. Les rebelles ne lui ont laissé aucune chance. Son corps a dû subir de graves lésions, il n'est pas exclu qu'il ait été déchiqueté, ce qui n' a pas permis à la dépouille d'être exposée afin que le peuple se recueille.
Après le décès du président, la suite est connue. Les généraux se réunissent immédiatement pour trouver un successeur afin de ne pas laisser le vide s’installer. La transition se met rapidement en place. Son fils Mahamat Deby qui jusque-là ignorait le décès de son père, fut désigné et rappelé du front. Ce choix n’était pas bien difficile, tout le monde savait que le président Deby en avait fait son successeur "naturel". Il ne pouvait en être autrement dans une dictature. En Ouganda par exemple, tout le monde sait que le fils du président Yoweri Museveni, le tonitruant général Muhoozi Kainerugaba, va lui succéder. Ce scénario s’est aussi produit en RDC où Joseph Kabila a succédé à son père Désiré Kabila, assassiné en 2021. Au Rwanda on sait que le président Kagamé est en train de former son fils Ian Kagamé (officier dans l'armée rwandaise) pour lui succéder éventuellement.
Le 20 Avril à 13h, le décès d'idriss Deby est annoncé à la télé. C'est le choc au Tchad et dans toute l'Afrique. La nouvelle est brutale. Ironie du sort, ignorant tout ce qui se tramait, le président de la commission électorale avait proclamé les résultats de la présidentielle la veille, le 19 avril, jour même où l'homme fut tué. Idriss Deby était vainqueur au premier tour avec 79, 32% des voix. Seconde ironie, sa venue sur le front n'était en rien nécessaire. L'armée contenait parfaitement les rebelles, et a pu totalement les défaire quelque trois semaines après sa mort. Mais le président Deby tenait à tout contrôler, tout vérifier, avec cette méfiance maladive qui est propre aux dictateurs. Cette fois cela lui a été fatal.
Notons pour terminer qu'en Janvier 1991, juste un mois après sa prise du pouvoir, le président Deby effectue son premier déplacement à l’étranger en Côte d’Ivoire, afin de "bénéficier des conseils du président Houphouët" avait-il déclaré. Enfin le président Déby avait lancé en Avril 2013, la construction de la basilique de N'djamena, qui devait être la seconde d'Afrique après celle de Yamoussoukro, dont il avait été très impressionné lors de sa visite de l'ouvrage pendant les funérailles du président Félix Houphouët Boigny en Janvier 2014. Les travaux de la basilique de N'Djamena devraient durer 36 mois. Un très belle et grande bâtisse au vu de la maquette qui avait été présentée. Mais la construction n'alla pas au délà du remblayage du site.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales
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