Élise, visiteuse de prison, à l’écoute des détenus
Depuis près de sept ans, Élise est visiteuse de prison. Un engagement peu banal pour une jeune femme de 34 ans, qui se rend presque chaque samedi à la maison d’arrêt de Nanterre, en banlieue parisienne, pour apporter, l’espace d’un moment, une «fenêtre sur l’extérieur» aux détenus.
Depuis toute petite, Élise a toujours indéniablement eu «le sens de l’humain». Celle qui, dans une autre vie, aurait rêvé être psychologue commence sa carrière dans le droit, tout en gardant en elle cette envie ardente de comprendre les autres. À partir de ses 26 ans, Élise s’engage en tant que visiteuse de prison, poussée par l’intime conviction que «l’existence des détenus ne se résume pas à l’infraction qu’ils ont commise».
Avocate, puis directrice de la Communication et du Marketing dans le milieu juridique, son attrait pour le monde carcéral lui provient principalement des visites en prison pour voir son père, écroué quand elle était adolescente.
Premier contact avec la prison
Avec son grand sourire, son aisance naturelle et son regard perçant mais tendre, cette jeune femme est habituée à s’exprimer en public, mais surtout, à écouter. Élise, c’est la grande sœur. Celle qui prête attention aux autres, autant dans sa vie personnelle que dans ses engagements bénévoles. Celle qui protège, au point de faire passer tout le monde avant elle. Celle qui encaisse.
Elle passe son adolescence en Anjou, après avoir vécu dans plusieurs villes françaises au fil des affectations de son père militaire. À la suite du divorce « très difficile» de ses parents à ses quatre ans, elle évoque une enfance remplie de contrastes. Des «hauts très hauts, beaucoup d’amour. Mais aussi des bas trop bas, des drames familiaux qui laissent des traces.» Alors, Élise grandit trop vite. «Je n’ai pas de souvenir d’insouciance ou de légèreté durant mon enfance», ponctue-t-elle.
Lorsqu’elle n’a que 13 ans, son père, dont elle est très proche, se retrouve derrière les barreaux pendant cinq mois. L’adolescente pénètre alors pour la première fois dans une prison, avec un mélange d’appréhension et de curiosité. «J’ai tout de suite perçu que j’entrais dans un lieu qui n’était pas donné à tout le monde de voir, et je me sentais presque privilégiée d’y avoir accès », se remémore-t-elle.
Les retrouvailles avec son papa, Élise s’en souvient avec une précision touchante. « Il était enfin là, palpable, en face de moi, décrit-elle avec émotion. Quand je l’ai retrouvé, il avait la même odeur, le même sourire, mais aussi les traces de son enfermement, avec ses chaussures sans lacet et sa barbe qui avait un peu poussé.»
«Les détenus, ce sont nos voisins de demain»
C’est justement sur les conseils de son père qu’Élise se tourne vers le droit, plus par défaut que par choix. À la fac, elle se donne corps et âmes à ses études. «Le travail, c’était la seule chose qui tenait, à laquelle je pouvais me raccrocher. Ma valeur sûre», souligne-t-elle.
À 25 ans, alors avocate en droit de la concurrence, Élise se questionne. Comment apporter plus de sens à sa vie, faire des activités plus en phase avec ses valeurs ? Elle décide donc de poser sa candidature pour devenir visiteuse de prison, se rapproche de l’Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice (ANVP), et choisit la maison d’arrêt de Nanterre, la plus proche de chez elle.
Un an plus tard, la jeune femme réalise sa première visite. «En tant que visiteur de prison, nous n’avons accès qu’au nom, prénom et numéro d’écrou de la personne. Pas à son dossier, ni à sa peine. Si elle veut nous en parler, c’est son choix. Mais nous ne sommes pas là pour la juger», indique la trentenaire. Au parloir, elle explique à chaque fois son rôle aux détenus. «Je suis bénévole. Ni psychologue, ni professeur, ni avocate. Simplement là pour passer du temps avec eux et leur accorder une attention bienveillante.»
Surtout, là pour accueillir leur parole, dans une démarche pleine d’humilité. «Une fois, un détenu m’a indiqué dès notre premier échange qu’il voulait me dire ce qu’il avait fait, mais il n’y arrivait pas. Il avait peur que je ne revienne plus le voir. Au bout de quelques échanges, il a réussi à m’en parler. C’était très touchant, une forme de catharsis dans laquelle j’ai tenté de l’accompagner du mieux que je pouvais», retrace-t-elle.
Ces rencontres préparent aussi leur réintégration dans la société. «Ces détenus, ce sont nos voisins de demain. Nous avons tous intérêt, collectivement, à ce qu’ils sortent de prison pas trop abîmés », assure-t-elle. Si Élise est visiteuse de prison, c’est aussi parce qu’elle est profondément « convaincue qu’il existe une part d’humanité en chacun de nous, qui ne doit pas être écrasée ».
Madagascar, le pays «qui lui a enlevé» son père
L’histoire d’Élise, c’est également le récit d’une quête de soi. Sa famille paternelle réside à Madagascar où elle se rend pour la première fois à ses quinze ans, quand son père décide de renouer avec son passé. Élise ressent alors, elle aussi, ce besoin de retracer ses origines, de retourner sur le pas de ses ancêtres.
Le 21 juillet 2021, tout bascule. Alors qu’elle est enceinte de son premier fils, elle apprend que son père est arrêté à Madagascar et qu’il encourt probablement la peine de mort. Accusé d’être impliqué dans l’affaire «Apollo 21», une tentative présumée de coup d’État contre le président Andry Rajoelina, son père écope de 20 ans de travaux forcés avant d’être incarcéré. «C’est une forme d’impuissance terrible », lâche-t-elle. Elle mène seule et à distance une bataille «éreintante» pour obtenir sa libération et son transfèrement en France. « C’est extrêmement lourd de devoir m’occuper de tout, mais je n’ai pas le choix.» Pour la jeune femme, une chose est sûre : elle ne remettra plus les pieds dans son pays d’origine. «Madagascar restera à jamais le pays qui m’a enlevé mon père», confie-t-elle.
Alors qu’elle vit les trois années «les plus intenses de sa vie», Élise tient bon et poursuit sans relâche son activité de visiteuse de prison. «L’incarcération de mon père à Madagascar a d’autant plus renforcé mon engagement. Ces heures que je dédie à la prison m’apportent un sentiment puissant et salvateur d’utilité», révèle-t-elle.
Au milieu de ce chaos, la jeune mère mène le «plus beau projet de toute sa vie» : élever ses deux enfants avec son conjoint, en leur transmettant «ce goût si précieux du contact humain» et en leur construisant à tout prix «un cocon familial stable». Fière de son parcours tumultueux, Élise n’a qu’un simple vœu pour l’avenir : vivre enfin une existence plus apaisée.
Source: RFI
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