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Confédération de l'Alliance des États du Sahel (AES): Populisme ou pragmatisme ? 

 AES

Une rencontre entre les autorités de transition en place au Mali, au Burkina Faso et au Niger réunis au sein de l'Alliance des États du Sahel ( AES) a été sanctionnée à Niamey par la création ce samedi 6 juillet 2024 d'une nouvelle entité juridique dans la sous-région ouest-africaine. L'AES passe désormais du statut d'Alliance à celui de Confédération des Etats du Sahel. Ce changement de cap recèle des implications juridiques desquelles découlent des observations et des analyses.

1) Implications juridiques

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger forment aujourd'hui une Confédération d'États. Au plan juridique, il existe plusieurs formes d'États. Les constitutionnalistes opposent volontiers l'État unitaire à l'État fédéral. L'État unitaire a un centre unique d'impulsion politique auquel la population est uniformément soumise sur tout le territoire, les circonscriptions ne jouissant d'aucune autonomie politique.
C'est le cas de la quasi-totalité des Etats de l'Afrique de l'Ouest notamment la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Burkina Faso, le Niger, le Mali...exception faite du Nigeria qui est un État fédéral.
L'État fédéral par contre, participe du fédéralisme qui fait la distinction entre l'État fédéral et la Confédération d'États. La confédération qui nous intéresse ici ( Confédération AES) est une association d'États indépendants qui ont par traité, délégué l'exercice de certaines compétences notamment diplomatiques, défensives ou économiques à des organes communs, sans constituer cependant un nouvel État superposé aux États membres. C'est ce dernier élément qui fait la différence fondamentale entre la confédération d'États et l'État fédéral. Les compétences confédérales sont ainsi exercées par un organe de type diplomatique qui prend à l'unanimité ou à une majorité renforcée des décisions qui ne peuvent atteindre les populations qu'indirectement par l'intermédiaire des Etats confédérés. Entre 1781 et 1787, les USA ont fonctionné sous forme de Confédération avant de passer à l'État fédéral. De même l'histoire a connu la Confédération germanique entre 1815 et 1866 et la Confédération helvétique (Suisse) qui a abouti à l'État fédéral suisse. L'État fédéral est quant à lui un État composé, par opposition à l'État unitaire. Il est formé par association d'États antérieurement indépendants, soit par dissociation d'un État antérieurement indépendant.

L'État fédéral obéit à 3 principes: la superposition, la participation et l'autonomie.

Par la superposition, l'État fédéral se superpose stricto sensu à une pluralité d'États fédérés, l'ensemble formant l'État fédéral. La participation se décline par la participation des États fédérés à la révision de la Constitution fédérale ainsi qu'à la législation fédérale car une des deux assemblées (Sénat) représente les États fédérés. Au sein de l'État fédéral, les États fédérés disposent d'une Constitution, ainsi que d'une large autonomie législative, dans des domaines déterminées par la constitution fédérale : c'est le principe de l'autonomie. De cette approche théorique, surgit des observations avec la création de la confédération sahélienne.

2) Observations

Le colonel Assimi Goïta, le capitaine Traoré Ibrahima et le Général Tiani respectivement du Mali, du Burkina Faso et du Niger, ont disent-ils, définitivement tourné le dos à la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) créée le 28 mai 1975 à Lagos pour mettre sur pied la Confédération des Etats du Sahel (AES). À terme, il s'agit de former entre les trois entités un État fédéral. Avec la Confédération, le Mali, le Burkina Faso et le Niger si attachés et rattachés à leur souveraineté abandonnent ainsi une partie de leur souveraineté à la Confédération. Quelque chose ne va pas.
De nombreux États avant ces trois pays sahéliens ont fait l'expérience du confédéralisme pour aboutir à l'État fédéral. Nous avons indiqué qu'entre 1781 et 1787, les USA ont fonctionné sous forme de Confédération avant de passer à l'État fédéral. De même, la Confédération germanique a existé entre 1815 et 1866. À l'observation, la création d'une Confédération au sein de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'ouest (Cedeao) est une bonne initiative. De ce point de vue, les pères créateurs de l'AES peuvent être considérés comme avant-gardistes. Même s'il faut reconnaître qu'avant eux, des hommes politiques comme Kwame N'krumah, Léopold Sedar Senghor, Modibo Kéïta ont tenté de mettre sur pied les États-Unis d'Afrique. En 1959,

Félix Houphouët-Boigny et ses paires du Conseil de l'Entente ont aussi expérimenté le fédéralisme. À l'ère de la mondialisation et du numérique, autrement de la précision chirurgicale dans tous les domaines technologiques, la confédération a toujours été une bonne solution quand on se projette dans le temps. Qu'elle soit une confédération politique, économique, sportive, géopolitique ou géostratégique. Mais le hic dans cette création de confédération sahélienne, c'est le brouhaha autour de sa fondation. L'analyse du contexte de la création de cette alliance suscite des réserves.

3) Analyses

Les réserves sont nombreuses. Nous allons en exposer quelques unes.
Le contexte, la qualité des acteurs, leurs arguments, leurs méthodes, la pédagogie utilisée ainsi que l'historicité du fédéralisme dans la sous-région ne plaident pas en leur faveur.

Pour ce qui est du contexte, l'on remarque que le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont sortis de la Cedeao suite à des coups d'État militaires. Sanctionnés par leurs paires de la sous-région conformément aux textes de l'institution sous-régionale qui n'admettent plus depuis 1999 que des putschistes siègent au sein de l'institution, les ''Etats voyous'' ont cru devoir créer une institution concurrente à la Cedeao. Depuis septembre 2023, les militaires putschistes, le colonel Assimi Goïta du Mali, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le Général de brigade Abdourahame Tiani du Niger ont décidé de créer l'Alliance des États du Sahel (AES). Ils ont tenté vainement de rallier à leur cause la Guinée Conakry de Mamadi Doumbouya qui vit aussi sous l'ère d'un putsch militaire.

Autre contexte, c'est la prévalence du terrorisme. L'AES est créée par des militaires dans un contexte de lutte contre le terrorisme. Au lieu d'aller au front pour endiguer la menace terroriste, les militaires s'érigent en politiques ou en diplomates. Pour les dédouaner, certains défenseurs des hommes politiques encagoulés en treillis brandissent volontiers que les pères fondateurs de la Cedeao étaient des militaires putschistes. Soit! Ce qui n'est d'ailleurs pas une position juste, car le contexte n'était point le même et les acteurs n'étaient tous pas putschistes et militaires. En effet en 1975, les coups d'État étaient quasiment tolérés dans l'espace ouest-africain. C'est d'ailleurs cet espace qui a inauguré les coups d'États en Afrique. Yassingbe Eyadéma a renversé Sylvanus Olympio au Togo en 1963. N'krumah sera défait au Ghana. Au Nigeria, c'était la pagaille jusqu'à l'accession de Yakubu Gowon au pouvoir. Hamani Diori est renversé au Niger par Seyni Kountche. Modibo Kéïta au Mali et Maurice Yaméogo au Burkina Faso ont été chassés du pouvoir respectivement par Moussa Traoré et Sangoulé Lamizana. Seuls Félix Houphouët-Boigny de la Côte d'Ivoire, Léopold Sedar Senghor du Sénégal, Sékou Touré de la Guinée Conakry, William Tolbert du Liberia résistent encore jusqu'en 1975 à l'appétit vorace du pouvoir des hommes en kaki. Dire donc que les pères fondateurs de la Cedeao étaient tous des militaires n'est pas tout à fait juste. C'est encore de la manipulation. Sur les 15 membres fondateurs, il y avait 7 militaires putschistes contre 8 civils. Le Cap-Vert ayant rejoint l'organisation avec le civil Aristides Pereira en 1976. Plusieurs chefs d'État civils ont fortement contribué à la création de la Cedeao. Il s'agit de Dawda Jawara de la Gambie, Luis Cabral de la Guinée-Bissau, Léopold Sedar du Sénégal, Félix Houphouët-Boigny de la Côte d'Ivoire, William Tolbert du Liberia, Sékou Touré de la Guinée Conakry, Siaka Stevens de Sierra Leone et de Moctar Ould Daddah de la Mauritanie. Il faut retenir que la Mauritanie quittera l'organisation en 2000 pour revenir comme observateur. A la création de l'institution, le Cap-Vert était absent. C'est dire qu'on peut rejoindre une organisation après sa création. Comme quitter l'organisation et chercher à revenir.
Par contre, l'AES , Alliance des Etats du Sahel puis confédération des Etats du Sahel est le fait de trois militaires uniquement. Les images nous le montrent bien. C'est d'ailleurs ce qui suscitent nos craintes. En effet la qualité des acteurs, des militaires, des hommes en armes ne donnent pas d'assurance à la pérennité de cette confédération.

Les arguments liés à la souveraineté pour tenir les populations sous le joug militaire sont à prendre avec des pincettes. Comment des souverainistes peuvent accepter soudainement de céder leur souveraineté à l'AES en refusant de la céder à la Cedeao, une organisation régionale vieille de 50 ans. C'est parce qu'ils ont la même origine et la même destinée. Venus à la tête de leurs pays respectifs par les armes, ils peuvent toujours partir de la même manière. C'est connu, Qui règne par l'épée périra par l'épée. Il n'y a donc aucune garantie à voir continuer leur œuvre. Le premier venu pourra remettre en cause sa présence dans la confédération. La confédération AES a été mise sur les fonts baptismaux sans consulter le peuple des pays respectifs. Pour une question aussi importante qui engage l'avenir des peuples, il aurait fallu organiser un référendum. À tout le moins, il aurait fallu passer par le parlement ou toute autre assemblée élue. Mais avec les militaires aux affaires, il n'y a point d'élus. C'est l'autoritarisme qui est de règle.

De quelle légitimité bénéficient Assimi Goïta et autres pour engager l'avenir de milliers de populations? Tout nouveau pouvoir avec un brin de liberté démocratique pourra remettre en cause ce statut de confédéré sous le prétexte de non consultation du peuple souverain de chacun des États. C'est un handicap à prendre en compte. L'on peut donc dénoncer la démarche pédagogique ou andragogique empruntée pour la création de l'AES. Elle est sui généris. D'autres États dans des contextes beaucoup plus apaisés avant ces militaires ont essayé de créer de grands ensembles confédéraux dans le même espace géographique et culturel sans y parvenir. Il y a eu la communauté Franco-africaine avec le Général De Gaule. Seuls sont restés les départements d'outre-mer (DOM). Il y a eu également la fédération du Soudan composée du Mali et du Sénégal. Cette dernière n'a pas résisté non plus. Les États du Conseil de l'Entente notamment le Togo, le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Niger ont tenté en 1959 la création d'une Confédération qui est restée lettre morte. Il a fallu l'accession d'Alassane Ouattara au pouvoir en 2011 pour redonner un regain de vitalité à cette organisation qui a son siège à Abidjan. La Côte d'Ivoire et le Burkina Faso a travers le Traité d'amitié et de coopération (TAC) dans une expérience similaire tentent le confédéralisme. Mais le retour des militaires aux affaires aux pays des hommes intègres met à mal le projet. Le Sénégal et la Gambie avec la Sénégambie ont échoué. Il faut se demander comment ces 3 États vont réussir là où en 50 ans la Cedeao forte de 15 Etats (au départ) peine à trouver ses marques avec des géants comme le Nigeria, la Côte d'Ivoire, le Ghana et de nombreuses ressources. Il faut toujours des puissants pour tirer les plus faibles dans un attelage.

Mais à l'AES, loin de minimiser ces États, lequel des États peut-il être considéré comme le moteur, la locomotive. Des États aux conditions climatiques difficiles, des États sans façade maritime, sans routes d'interconnexion, sans relations extérieures sérieuses, livrés au terrorisme. Le défi sécuritaire est immense pour ces Etats sahéliens.

Les militaires donnent plus dans le populisme que dans le pragmatisme. Ils sont plus dans les effets d'annonce que dans l'action concrète. Ils sont dans le vuvuzela. Ils doivent commencer par éradiquer le terrorisme, la raison principale de leur prise du pouvoir par la force. Au lieu de cela, retranchés dans les palais climatisés, ils s'adonnent au populisme, martyrisant leurs peuples. Le défi est immense. L'échec semble programmé d'avance pour l'AES. Mais attendons de voir. Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs. Le meilleur allié de l'homme c'est le temps... Espérons que le temps leur donne raison.

Alla Kouamé

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