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Opinion / Pourquoi l'Etat ivoirien doit accélérer la privatisation des CHU (Par Douglas Mountain)

Hopital CHU

Photo: Le bâtiment des grandes endémies au Centre Hospitalier Universitaire ( CHU ) de Treichville à Abidjan (Abidjan.net)


La privatisation des CHU est une question qui est en toile de fond de la réforme hospitalière adoptée en 2019, même si nos dirigeants s’en défendent, affirmant « qu’il n’en sera jamais question ». Beaucoup sont "horrifiés" lorsque la perspective est mise sur la table. Pourtant les CHU sont des hôpitaux, mais aussi des entreprises qui fonctionnent dans un environnement concurrentiel. Ils assurent un service public, mais ont une production marchande. Il faut garder ces points à l'œil. Peuvent-ils faire face à toutes leurs charges ( y compris les salaires du personnel ) grâce aux recettes qu’ils dégagent ? La question est simple.

Il y a deux paramètres à prendre en compte : la qualité et les coûts des soins. Comment évolue le rapport qualité-coût des soins aujourd’hui ? Les malades sont-ils mieux traités dans la configuration actuelle ? Maintenir les CHU dans le giron de l’Etat est-elle la meilleure option pour une amélioration des soins et des prix bas ? Beaucoup se prononcent sans avoir ces questions à l'esprit. Ils voient l’hôpital mais pas l’entreprise que l’Etat ne peut plus subventionner.

Gratuits à l’origine, les soins sont devenus progressivement payants, amenant peu à peu les CHU à fonctionner comme des entreprises. Pourquoi ne pas envisager de les confier au secteur privé si cela peut déboucher sur un meilleur fonctionnement, une meilleure rentabilité, qui profitera aux populations ? Pour ceux qui s’insurgent, les coûts des soins vont augmenter, si les CHU sont acculés à la rentabilité, ce qui sera le cas s’ils sont privatisés. Les populations n'auront plus ainsi l'accès à des soins "abordables". Pourtant les faits montrent que ce jugement est totalement erroné.

La réforme avortée de 1993

En toute fin de l’année 1993, une première réforme a été tentée par l’actuel Président, alors Premier Ministre. Les CHU devaient assumer toutes leurs charges, y compris les salaires du personnel. S’en était suivi une grève, car les directions n’arrivaient pas à assurer les salaires du premier mois qui avait suivi la réforme, ce qui est compréhensible pour une réforme d’une telle envergure. Puis est intervenu le décès du Président Houphouët le 07 décembre 1993. Soucieux d’obtenir la paix sociale, le nouveau pouvoir (du président Bédié) fait annuler la réforme.

La décision se justifiait sur le moment, mais pas sur le long terme. S’ils avaient leur destin comptable entre leurs mains, les CHU auraient été contraints à une gestion différente, qui les aurait obligés à se préoccuper de la démarche qualité, ce qui n’a jamais été le cas. Ils auraient mis tout en œuvre pour effacer l’image de " mouroir " qui leur est associée, pour identifier les causes qui ne leur permettent pas d’atteindre l’équilibre d’exploitation comme toute entreprise. Les CHU auraient été obligés de se réinventer. Il faudra atteindre 25 ans, soit 2018 pour que la question de la réforme des CHU soit de nouveau mise sur la table.

La bataille de l’image et de la qualité de service

Une privatisation pleinement mise en œuvre va de facto instaurer une concurrence frontale entre les CHU. En environnement concurrentiel, l’image fait partie intégrante du produit qui est proposé. Dans l'ensemble l’image de nos CHU est négative. Mais progressivement va s’opérer une différenciation, les CHU n’auront plus la même image auprès de la population, ce qui va influer sur leur fréquentation et donc sur leur rentabilité. Ainsi dans un premier temps, nos CHU seront inévitablement engagés dans une "bataille de l’image", qui se traduira par une course à la qualité de service et à l’innovation, en vue de capter et fidéliser la clientèle.

Comme dit plus haut, ces établissements mettront tout en œuvre pour effacer l’image de " mouroir " qui leur est collée, en améliorant d’abord leur service et le cadre. Les injures du personnel, les malades qui dorment sur le sol faute de lits, les accidentés laissés pour compte, les innombrables examens prescrits aux malades afin de gonfler les coûts des soins, la vétusté des locaux, le délabrement des services, l’absentéisme des médecins et infirmiers, plus préoccupés par leurs vacations dans les cliniques, etc….., tous ces maux qui ont longtemps abimé l’image des CHU seront amenés à rapidement disparaître.

L’Efficacité et la réduction des coûts

Dans un tel environnement, la course à la rentabilité se traduit d’abord par une course à la réduction des coûts. Les CHU seront dans l’obligation de s’organiser pour réduire leurs coûts afin d’être compétitifs, ils seront contraints d’identifier les causes qui ne leur permettent pas d’atteindre l’équilibre d’exploitation comme toute entreprise et d’y remédier sous peine de disparaître.

Les disparitions des stocks de médicaments, des malades hospitalisés qui ne figurent pas dans les registres, les infirmiers qui reçoivent les paiements au détriment des caisses, l’absence du personnel au profit des cliniques, les malades qui sont dirigés vers ces cliniques, le désordre ambiant, la « guerre » entre les différents services …etc…..tous ces dysfonctionnements qui constituaient autant de freins à la rentabilité des CHU, seront traités par des dispositions d’organisation. L’exigence de rentabilité ne laissera pas d’autres choix aux directions des CHU que de prendre des mesures d’assainissement et d’efficacité. Chaque direction va jouer sa survie sur son organisation.

Des prix orientés à la baisse

La question des prix est au centre des inquiétudes, ce qui est légitime. Beaucoup pensent que les tarifs vont croître si les CHU sont acculés à la rentabilité. Il faut savoir qu’un environnement pleinement concurrentiel empêche toujours toute hausse unilatérale des prix, quel que soit le secteur d'activité. C'est sur la qualité de service, l’innovation et la réduction des coûts que jouent les acteurs pour atteindre la rentabilité. Les CHU n’en feront pas exception.

Les CHU sont en situation de monopole, sur un marché en forte croissance, on semble l’oublier. Ce sont les établissements qui reçoivent le plus de malades, et qui ont le plus de recettes. Il y a suffisamment de marges pour maintenir et même baisser les prix sans compromettre les résultats si une organisation adéquate est mise en place. Nos CHU s’adressent à la masse. Ils vont toujours continuer à viser cette clientèle s’ils sont privatisés, ainsi les prix ne pourront qu’être que des prix de masse, des prix bas. Leur modèle économique pour ainsi dire ne leur permettra pas une quelconque hausse des prix. Cette peur est injustifiée. C’est bien le contraire qui se produira, une hausse de la qualité des soins et des prix orientés à la baisse.

Quel est le tableau aujourd’hui ? Les CHU sont supposés pratiquer des prix subventionnés, donc relativement bas. Mais dans les faits, cela ne garantit pas toujours des tarifs "sociaux". Une fois à l'intérieur des CHU, les malades ( ou plutôt les parents des malades ) sont "dépouillés" jusqu’au dernier centime. Les médecins prescrivent une liste interminable d’examens, à faire dans les labos des CHU, ou dans des labos ’’agréées’’ à l’extérieur. Les listes des ordonnances sont toutes aussi longues, les remèdes sont à acheter au sein des CHU. Plusieurs interventions chirurgicales sont programmées là où une seule suffit, les hospitalisations sont prolongées indéfiniment. Les infirmiers, le personnel des laboratoires, les sages-femmes, etc…tous contournent les dispositions, pour extorquer les parents des malades. Finalement, le coût global des soins n’a rien de "social".

Lorsque le malade malheureusement décède (ce qui semble plus la règle que l'exception), les services de la morgue prennent le relais, et l’adage selon lequel ’’dans les CHU un mort coûte plus cher qu’un vivant ’’ prend tout son sens. L’objectif est le même, amener les parents du défunt à dépenser encore et encore. On vous présente des frais auxquels vous n’y comprenez strictement rien, que vous devez absolument régler avant que le corps ne vous soit remis. C'est à ce moment qu'interviennent des "intermédiaires", qui opèrent au vu et su de tous, et disent pouvoir ’’vous aider à faire sortir le corps à moindre coût’’. Rien de tel qu'une immersion dans les CHU pour avoir une idée de la corruption qui règne dans le pays.

Certes, ce comportement se retrouve plus ou moins dans les structures privées. Mais dans les CHU, le phénomène est hors de contrôle car ’’chacun est son propre patron’’. Il y a une absence totale d’un contrôle interne de l’activité du personnel, ce qui n’est pas le cas dans le privé où le personnel est sous un contrôle strict. On s’arrange certes pour que le malade dépense, mais sa guérison reste un objectif qui n’est pas perdu de vue parce qu’il y va de l’image de la maison. Dans les CHU cette préoccupation est absente des esprits.

D'autre part, nos CHU sont en déficit chronique d'exploitation, malgré les subventions, et l’absence de charges salariales. La raison est bien simple, les paiements n’arrivent pas vraiment dans les caisses. Tout se fait hors circuit officiel. Les comptes des CHU présentent toujours de nombreuses irrégularités, comme l’atteste chaque année la section du rapport de la cour des comptes qui leur est consacrée. Ni l'Etat, ni la population ne sortent gagnants. Pourquoi ne pas tenter autre chose ?

Le personnel en poste dans les CHU où son comportement est décrié, se retrouve dans le privé où le comportement est exemplaire. Le problème de fond tient donc au fait qu'au niveau des CHU, nous avons affaire à des fonctionnaires. Or la réforme actuelle consacre certes l’autonomie financière des CHU, mais maintient le statut de fonctionnaire du personnel. Elle ne s’attaque pas au cœur du problème. Dans la réforme de 1993, le personnel n’était plus à la charge de l’Etat, ce qui était plus cohérent. Cette fois, le président Ouattara a hésité à franchir le pas. Son tranchant libéral s’est émoussé avec l’âge, comme nous l'avons souligné dans un précédent article.

Avec leur taille, leur volume d’activité, les investissements qu’ils nécessitent, le volume du personnel, et les recettes qu’ils génèrent, les CHU sont des structures majeures autour desquelles gravite une galaxie de fournisseurs et de sous-traitants. Leur gigantisme est un élément devant leur permettre d’être des pools de croissance, des moteurs pour l’ensemble du secteur de la santé, un peu à l’instar de ce qui se passe au Maroc où un secteur de santé performant, impacte l’économie sur un large spectre. Mais cela ne pourra se réaliser en CI que si les CHU fonctionnent sous une gestion privée à part entière.

A l’instar de la PISAM qui contracte régulièrement des emprunts obligataires pour financer son expansion, il n’y a pas de raison que les CHU, qui ont une activité et des recettes supérieures ne puissent en faire de même. Nos CHU ont la capacité de prendre leur destin en mains, faire face à toutes leurs charges (y compris le personnel), dégager des excédents et financer leur expansion. Le CHU d’Angré est sous un schéma d’exploitation différent de celui des autres. Pour le futur CHU d’Abobo, il faudra aller encore plus et entièrement confier son exploitation au privé. Il sera ainsi un laboratoire qui permettra de juger de la pertinence de cette approche pour ces structures hospitalières.

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Le Cercle des Réflexions Libérales

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