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Bonne gouvernance: l'analyse citoyenne des rapports 2020 de la Cour des comptes, par l'ONG Civis

Civis citoyen

Le mardi 12 juillet 2022, l'association CIVIS Côte d’Ivoire en partenariat avec d'autres organisations de la société civile ivoirienne, ont organisé une Conférence annuelle de redevabilité (CAR 1) au CERAO - Abidjan, à l'issue de laquelle, un rapport dit « Analyse citoyenne des rapports 2020 de la Cour des comptes de Côte d’Ivoire » a été produit.

L’objectif de cette conférence était d'élargir la portée de l’incidence des rapports annuels de la Cour des comptes sur les parties prenantes (société civile, population, Parlement, élus, médias, secteur privé, etc) et de contribuer à obtenir l’efficacité et l’efficience des politiques publiques et in fine réduire la pauvreté.

Ci-dessous l'intégralité du document.

La Cour des Comptes a publié, en septembre 2021, ses deux (2) rapports annuels sur l’exécution de la loi de finances en vue du règlement du budget de l’année
2020 et sur l’audit de performance des programmes de l’année 2020 (articles 50, 86, 84 de la LOLF2 et les articles 148 et 149 de la LOCC3).

L’année 2020 a consacré la généralisation de la gestion des finances publiques en mode budgetprogrammes. Ce mode de gestion, axé sur les résultats, met l’efficacité au cœur de l’action publique et renforce la redevabilité des gestionnaires des ressources de l’État.

En outre, pour responsabiliser les administrations publiques, depuis 2020, à chaque programme sont associés des objectifs précis, définis en fonction des finalités d’intérêt général et des résultats attendus (article 15 de la LOLF). Aussi, pour chaque programme, ces objectifs sont de trois types : un objectif d’efficience de gestion, un objectif de qualité de service et un objectif d’efficacité socio-économique de développement.

Au demeurant, l’objectif général poursuivi par l’État à travers ce nouveau mode de gestion des finances publiques est d’une part l’amélioration de la qualité de la gestion de l’argent public et d’autre part l’atteinte des objectifs socio-économiques de développement.

Relativement à ces réformes, la Cour des comptes a produit deux (2) rapports annuels susmentionnés au titre de l’année 2020. Les conclusions issues de ces rapports sont ci-dessous exposées.

Dans le premier rapport intitulé : « Rapport sur l’exécution de la loi de finances en vue du règlement du budget de l’année 2020 », la Cour des comptes fait quelques observations et recommandations sur la gestion des ressources publiques.

Selon la Cour, l’exécution de la loi de finances de l’année 2020 fait apparaître un solde budgétaire déficitaire de 2 207 628 729 594 F et un solde de trésorerie excédentaire de 2 095 568 639 938 F. Le solde de trésorerie reste insuffisant pour couvrir intégralement le solde budgétaire. Il en résulte donc un solde global déficitaire de 112 060 089 656 F qui représente la « dette flottante » de l’État.

À l’occasion de son contrôle, la Cour des comptes relève :
- des modifications budgétaires non conformes aux textes en vigueur ;
- un faible niveau de pression fiscale ;
- un taux d'inflation annuel moyen contenu dans la norme communautaire ;
- le non-respect du ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales ;

Au terme de son contrôle, la Cour des comptes recommande :
- que les ouvertures de crédits décidées par le Gouvernement respectent les textes régissant ce domaine, en l’espèce l’ouverture par décrets d’avance et non par arrêtés ;
- le respect du taux de modification des crédits ouverts par la loi de finances ;
- l’amélioration de certaines prévisions budgétaires afin qu’elles soient plus proches des réalisations ;
- le respect de la distinction entre les dépenses ordinaires et les dépenses en capital dans la présentation des documents produits ;
- le respect de la période complémentaire fixée par la loi pour l’encaissement des recettes et le règlement des dépenses.

Dans le second rapport intitulé : « Rapport sur l’audit de performance des programmes pour l’année 2020 », la Cour des comptes a passé en revue les programmes exécutés et les rapports faits par les ministères et les secrétariats d’État.

Les analyses effectuées par la Cour des comptes sur les rapports annuels de performance, au titre de la gestion 2020, ont porté sur trois principaux points.

Le premier point s’est appesanti sur la présentation des programmes. Celui-ci a permis de rappeler la structuration des programmes exécutés au cours de la gestion 2020. Cette structuration concerne, d’une part, la chaîne programmatique qui se décline en missions, programmes et actions et, d’autre part, la chaîne de performance qui met en évidence les objectifs globaux, les objectifs spécifiques et les indicateurs de performance.

Le deuxième point de l’analyse a porté sur l’appréciation générale des rapports annuels de performance (RAP). La Cour des comptes a ainsi procédé à une appréciation générale de l’ensemble des RAP produits par les ministères et secrétariats d’État selon les critères d’exactitude, de pertinence, de compréhensibilité et de comparabilité des informations.

Le troisième point a porté sur l’appréciation de la performance des cinq (5) programmes du Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle (MENETFP). Ces analyses ont été faites sur la base du critère de l’efficacité consistant à comparer les réalisations présentées dans les RAP avec les prévisions qui leur sont rattachées, contenues dans les projets annuels de performance (PAP).

Sous réserve des insuffisances relevées lors du présent audit, la Cour des comptes atteste que les programmes mis en œuvre par les ministères et secrétariats d’État, au titre de la gestion 2020, ont été globalement exécutés de manière satisfaisante.

Au regard des conclusions issues des rapports de la Cour des comptes, notre analyse citoyenne porte principalement sur quelques points susceptibles d’être améliorés :
1. Au titre du rapport sur l’exécution de la loi de finances en vue du règlement du budget :
1.1.Des modifications budgétaires non conformes aux textes en vigueur
1.1.1. Les Ministères en charge du budget et des finances ont outrepassé leurs prérogatives en excédant les 1% prévus par la loi de finances à 12,8% pour l’année 2020 (Article 25 de la LOLF). Ce qui correspondrait à 1 0784 milliards de FCFA ;
1.1.2. Les Ministères en charge du budget et des finances ont procédé à la modification du budget par des arrêtés là où la LOLF n’autorise que des décrets (Article 25 de la LOLF) ;
1.1.3. Les Ministères en charge du budget et des finances ont excédé les délais prévus pour l’encaissement des recettes et des paiements des dépenses conformément à l’article 76 de la LOLF (un mois après la clôture de l’exercice) ;
1.1.4. Les Ministères en charge du budget et des finances n’ont pas communiqué à la Cour des comptes en temps réel, en application de l’article 28 de la LOLF, les actes modificatifs du budget pris en cours d’exercice ainsi que leurs rapports de présentation ;
1.1.5. Les Ministères en charge du budget et des finances n’ont pas régularisé les actes modificatifs pris avant l’adoption de la loi de finances rectificative (LFR) en application de l’article 25 de la LOLF ;
1.1.6. Les Ministères en charge du budget et des finances n’ont pas veillé au respect de la distinction entre les dépenses ordinaires et les dépenses en capital dans la présentation du projet de la loi de finances initiale (LFI), du projet de LFR, du rapport de présentation du projet de loi de règlement (LR) et du projet de LR telle que prévue par la LOLF (Directive n°06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 et reprise par l’article 11 de la LOLF) ;
1.1.7. Les Ministères en charge du budget et des finances n’ont pas présenté dans les projets de LFI, de LFR et de LR, les « dépenses en atténuation de recettes » conformément aux dispositions de la LOLF et aux exigences du Code de transparence dans la gestion des finances publiques (Articles 6, 8, 11, 12 et 13 de la LOLF consacrent une nouvelle présentation du budget de l’État en distinguant les recettes et dépenses budgétaires des ressources et charges de trésorerie) ;
1.1.8. Les partis politiques ont bénéficié de financement d’un montant de trois milliards au cours de l’année 2020. Les partis politiques bénéficiaires de cette subvention devraient, au 31 mars 2021, remettre à la Cour des comptes un rapport comptable de leurs dépenses et recettes accompagné d’un état du patrimoine, certifié par un expert-comptable agréé, conformément à l’article 18 de la loi n° 2004-494 du 10 septembre 2004 relative au financement sur fonds publics des Partis et Groupements politiques et des Candidats à l’Élection présidentielle et abrogeant la loi n° 99-694 du 14 décembre 1999.
1.2.Un faible niveau de pression fiscale
La pression fiscale devrait être supérieure ou égale à 20% (critère de convergence de l’UEMOA) ; cependant, la Côte d’Ivoire est à 14,4% pour l’année 2020.
Ce taux peut s’expliquer par une faible mobilisation des ressources fiscales internes. Le respect de cette exigence nécessite une réforme structurelle vigoureuse pour élargir l’assiette fiscale afin d’accroître la marge de manœuvre budgétaire de l’État. Aussi, elle pourrait contribuer à créer et conserver un espace budgétaire qui permettra à l’État d’augmenter les dépenses propauvres afin de réduire la pauvreté.
1.3.Le non-respect du ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales

Le ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales devrait être inférieur ou égal à 35% (critère de convergence de l’UEMOA). Cependant, la Côte d’Ivoire est à 42,8 % pour l’année 2020. Le dépassement de 7,8%5 de la masse salariale correspond en valeurs à 334 milliards de FCFA.
2. Au titre du rapport sur l’audit de performance des programmes
2.1. Appréciation générale des rapports annuels de performance

L’appréciation générale des RAP et des PAP des ministères sectoriels à travers les critères d’exactitude, de pertinence, de compréhensibilité et de comparabilité des informations a permis à la Cour des comptes de dégager les faiblesses et insuffisances suivantes :
- les valeurs prévisionnelles de cinquante-huit (58) indicateurs n’ont pas été clairement définies ;
- soixante (60) indicateurs n’ont pas été évalués à la clôture de l’exercice 2020 ;
- la totalité des cibles du Ministère de la Promotion de la Riziculture n’ont pas été définies ;
- les cibles définies par le Ministère du Pétrole, des Énergies Renouvelables sont toutes fixées à zéro ;
- le Secrétariat d’État auprès du Ministre de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme, chargé du Logement Social, n’a pas défini la majorité des cibles des
indicateurs de performance, notamment en ce qui concerne le programme « Administration générale » ;
- il existe une proportion importante de cibles non définies dans les programmes du Ministère du Commerce et de l’Industrie, du Ministère de la Promotion de la Riziculture, du Secrétariat d’État auprès du Ministre de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme, chargé du Logement Social et du Secrétariat d’État auprès du Ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfant, chargé de l’Autonomisation des Femmes ;
- les RAP ne mettent pas suffisamment en évidence les liens entre les actions mises en œuvre et les résultats réalisés ;
- les commentaires des RAP sont relativement limités et peu explicites sur les actions qui ont favorisé l’atteinte des résultats, ce qui limite la compréhension des liens de causalité entre les actions et activités menées et les résultats effectivement réalisés. Cette clarification est nécessaire dans la mesure où les actions ne contribuent pas de manière uniforme à la réalisation des objectifs ;
- les RAP n’établissent pas explicitement de lien entre les ressources utilisées et les résultats obtenus ;
- les commentaires portant sur l’amélioration du niveau des indicateurs, pour chaque programme, ne mettent pas en évidence les liens entre les actions et les résultats souhaités par les responsables de programmes. De plus, ces commentaires ne font référence ni aux acteurs concernés par la mise en œuvre de telles actions ni aux ressources nécessaires à la réalisation des actions envisagées dans le cadre des corrections rétroactives ;
- les niveaux globaux d’exécution des programmes n’ont pas été précisés dans les RAP ;
- treize (13) ministères affichent un taux de réalisation global de moins de 50% de leurs programmes ;
La Cour des comptes recommande, pour l’avenir, aux Ministres et Secrétaires d’État, d’observer plus de vigilance dans le traitement des données et de veiller à définir correctement les cibles des indicateurs de performance.
2.2. Appréciation des performances des programmes du MENETFP
La Cour des comptes dit avoir apprécié les résultats présentés dans les rapports d’audit de performance (RAP) au vu des prévisions contenues dans les projets annuels de performance (PAP) des ministères sectoriels.
L’analyse d’impact relève de l’évaluation des politiques publiques, qui est une technique de contrôle différente de celle du Rapport sur l’Exécution de la Loi de Finances (RELF) et du Rapport d’Audit d’attestation de Performance des Programmes (RAPP). Après analyse, nous restons en attente de l’évaluation des politiques publiques par la Cour des comptes pour appréciation.
Le Collectif se félicite des réformes engagées par les acteurs étatiques pour aboutir à une nouvelle manière de gérer les ressources publiques à travers le budget-programmes. Toutefois, au vu des dysfonctionnements ci-dessus relevés, il recommande :
1. Au Gouvernement de :
- publier les informations détaillées sur le niveau et la composition de son endettement interne comme externe, de ses actifs financiers et de ses principales obligations non liées à la dette, notamment, sur les droits acquis concernant les retraites de la fonction publique ainsi que sur les garanties accordées aux entités publiques et privés. (Article 99 du Code de transparence).
- allouer des crédits budgétaires additionnels à la Cour des comptes pour le recrutement de personnels supplémentaires.
2. Au Ministère du budget et du portefeuille de l’État de :
- veiller à se conformer au taux de 1% des crédits ouverts par la loi de finances de l’année en cas de modification du budget de l’État dans les conditions prévues à l’article 25 de la LOLF ;
- recourir à des décrets d’avances pour l’ouverture de crédits supplémentaires dans les conditions prévues à l’article 25 de la LOLF ;
- veiller au respect de l’article 76 de la LOLF qui exige que : « les encaissements de recettes et les paiements de dépenses ne peuvent intervenir que pendant une période complémentaire à la clôture de l’exercice dont la durée ne peut excéder un mois » ;
- communiquer à la Cour des comptes en temps réel, en application de l’article 28 de la loi organique sus indiquée, les actes modificatifs du budget pris en cours d’exercice ainsi que leurs rapports de présentation ;
- régulariser les actes modificatifs pris avant l’adoption de la LFR par ladite loi ;
- veiller au respect de la distinction entre les dépenses ordinaires et les dépenses en capital dans la présentation du projet de LFI, du projet de LFR, du rapport de présentation du projet de loi de règlement et du projet de loi de règlement telle que prévue par la LOLF ;
- présenter dans les projets de LFI, de LFR et de LR, les « dépenses en atténuation de recettes » conformément aux dispositions de la LOLF et aux exigences du code de transparence dans la gestion des finances ;
- respecter le taux de pression fiscale qui doit être supérieur ou égal à 20% (critère de convergence de l’UEMOA) ;
- se conformer au ratio de la masse salariale sur les recettes fiscales qui doit être inférieur ou égal à 35% (critère de convergence de l’UEMOA).
3. Aux ministères sectoriels de :
- améliorer la qualité et la pertinence des cibles et des indicateurs de performance des programmes énumérés dans les projets annuels de performance (PAP) ;
- présenter dans les projets annuels de performance (PAP), les indicateurs de mesure des résultats socio-économiques imputables aux programmes qui seront mis en œuvre.
4. Aux partis politiques et groupements politiques de :
- veiller au respect des obligations de l’article 18 de la loi n° 2004-494 du 10 septembre 2004 relative au financement sur fonds publics des Partis politiques et Groupements politiques et des Candidats à l’Élection présidentielle et abrogeant la loi n° 99-694 du 14 décembre 1999.
5. À la Cour des comptes de :
- publier dans les trois mois suivant chaque mandat, sur la base d’un rapport préparé par le Gouvernement, les résultats de l’audit de la situation globale des finances publiques, et en particulier la situation du budget de l’État et de son endettement. (Article 68 du Code de transparence) ;
- faire le suivi des rapports, conclusions et recommandations issus des contrôles de sorte que les résultats de ce suivi soient régulièrement portés à la connaissance du public (article 69 du Code de transparence).
- rendre public tous les rapports qu’elle transmet au Président de la République, au Gouvernement et au Parlement ; publier également ses décisions particulières au Journal officiel, sur son site web et dans au moins deux journaux nationaux de grande diffusion ; organiser le suivi de ses recommandations et porter régulièrement les résultats à la connaissance du public. (Article 98 du Code de transparence).
- exiger des partis politiques qui ont obtenu un financement public de lui mettre à disposition leurs rapports dans les conditions prévues à l’article 18 de la loi n° 2004-494 du 10 septembre 2004 relative au financement sur fonds publics des Partis politiques et Groupements politiques et des Candidats à l’Élection présidentielle et abrogeant la loi n° 99-694 du 14 décembre 1999 ;
- créer un numéro vert gratuit pour recevoir les dénonciations des cas de fraudes et ou fautes de gestions.
6. Aux organisations de la société civile (OSC), aux médias, à la presse, aux partis politiques, aux organisations du secteur privé, aux centrales syndicales, aux
citoyens lambda de :
- s’approprier les rapports annuels de la Cour des comptes afin d’accroître son impact sur la qualité de la gestion de l’argent public et l’atteinte des objectifs socio-économiques de développement.

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