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Sakassou: Crise dans le royaume Baoulé ou l'alternance centenaire mal négociée

Cour royale de Sakassou 

Le Royaume fondé entre 1730 et 1760 par la Reine Abrah Pokou et consolidé par sa nièce Akoua Boni (1760-1790) au cœur de l'actuelle Côte d'Ivoire est en crise. L'occupation du siège royal divise encore une fois les fils et filles du Walebo. En méconnaissance des raisons profondes de cette crise centenaire, des intellectuels ont cru devoir accuser le politique ivoirien.

Si le politique a fini par s'incruster dans la gestion successorale du royaume Baoulé, c'est parce que les enfants du royaume sont eux-mêmes divisés sur le sujet. Les présidents Bédié, Alassane, Gbagbo n'ont jamais été cités comme diviseurs dans le Bounkani, le Sanwi, l'indénié, le Djuablin, le Moronou, dans les royaumes Brong et Koulango... Pourquoi viendrait-il l'idée au politique d'influencer ou d'orienter un choix royal à Sakassou ?

Nous nous sommes rendus à Sakassou. Le tam-tam parleur garant de nos traditions a parlé. Le tambour des Goli voisins de Bodokro a aussi retenti. Enfin celui des Satiklan de Botro a réagi. Le drummologue Niangoran Boua nous enseigne que pour avoir la vérité historique sur l'histoire d'un peuple, il faut interroger trois tambours différents. Après cette démarche axiologique de l'interrogatoire de l'histoire, des us et coutumes du royaume Baoulé, nous pouvons dire que la crise de succession dans le royaume Walebo est née d'une alternance politique royale mal réglée.
Surgie en 1925 par un deal sur le siège (Yassoua Bia), la crise s'est accentuée à partir de 1978 par les mésententes sur le choix du souverain au trône.

Le deal manqué de 1925

Selon les recoupements recueillis sur place dans le Walebo, deux familles se succèdent sur le trône à Sakassou: les familles Guiè (Djè) et Anoumgblé.
Toutefois, l'arrangement mal ficelé entre d'une part la famille Guiè ou Djè et leurs alliés les Toto Kouamé et d'autre part la famille Anoumgblé va mettre le feu aux poudres. Pour mieux comprendre, faisons un recul dans la mémoire historique de la gestion du pouvoir à Sakassou.
Le Walebo à sa création a connu deux souveraines à partir de 1730. A la suite de Abrah Pokou (1730-1760), sa majesté Akoua Boni a unifié le pays Baoulé entre 1760 et 1790 par la guerre.

A la mort de Akoua Boni, le siège est revenu à son neveu Kouakou Guiè ou Kouakou Djè (1790- 1820). Puis suivit Kouamé Toto (1820-1840). Ensuite ce fut le tour de Kouakou Anoumgblé 1er (1840-1870). C'est le début de l'alternance.
Au décès de Kouakou Anoumgblé 1er, l'alternance permet à Toto Dibi et Toto Yoman (1870-1880) alliés des Djè d'occuper le siège royal.

Avec Anoumgblé Djèkè (1880-1890), l'alternance se poursuit en faveur des Anoumgblé. Entre 1890-1903, les Djè reviennent sur le trône avec Nanan Kouamé Guiè 1er. Vous constatez que cette période coïncide avec la pénétration coloniale française en Côte d'Ivoire et spécifiquement en pays Baoulé. Selon l'historien militaire Docteur Traoré Siaka de l'Université Alassane Ouattara de Bouaké, opposé à la pénétration française, Kouamé Guiè 1er sera fusillé par le colon en 1903.

L'administration coloniale fera remplacer Kouamé Guiè 1er par un autre roi à savoir Kouadio N'dri qui n'est autre que le neveu de Kouamé Guiè 1er. Mais, selon des sources historiques, Kouamé Lozo, le fils de Kouamé Guiè 1er entre en rébellion contre le nouveau roi, son cousin Kouadio N'dri. Même si les archives historiques retiennent comme souverain Kouadio N'dri (1903-1925), la réalité du pouvoir royal durant cette parenthèse est aux mains du guerrier ''rebelle'' Kouamé Lozo. C'est ce dernier qui va entreprendre la reconstruction et la restauration du royaume défiguré jusqu'à son décès en 1925.

L'année 1925 constitue la clé de départ d'un conflit vieux de 100 ans aujourd'hui. Vous constaterez que jusqu'à l'assassinat de Kouamé Guiè 1er en 1903, l'alternance du pouvoir entre Guiè -Toto d'une part et Anoumgblé se déroulait sans accroc.

Au décès du roi ''rebelle'' Kouamé Lozo, fils de Kouamé Guiè 1er assassiné par les colons, seule sa fille Guiè Aya apparaît comme le seul successeur légitime. Mais depuis 1790 date de fin de règne de Akoua Boni ( 1760-1790), les us et coutumes ne donnent plus le trône aux femmes. Celles-ci ont un autre siège, celui des Reines mères, le Blabia. Guiè Aya ne peut donc s'asseoir sur le Yassoua Bia (siège royal). Il existe toutefois une autre alternative. Si elle a un enfant mâle, celui-ci peut siéger. Mais dans le cas d'espèce, Guiè Aya a 3 enfants mâles mineurs. Ils ne sont donc pas à mesure de régner.

Un deal est trouvé pour régler cette question. Guiè Aya va donc céder le siège à Djo Kouakou qui va régner sous le titre de Kouakou Anoumgblé 2 durant 33 ans, de 1925 à 1958. Les enfants Guiè Aya devenus majeurs, Kouakou Anoumgblé 2 refusera de leur céder le siège royal prêté par les Guiè aux Anoumgblé.

Il a fallu attendre le décès de Kouakou Anoumgblé 2 en 1958 pour permettre l'alternance en faveur des Guiè avec Kouamé Guiè 2 (1958-1978). En cette fin des années 1970, la crise de confiance va s'accentuer avec les mésententes entre Guiè et Anoumgblé sur la succession du trône.

 L'accentuation des mésententes de 1978

Au décès de Kouamé Guiè 2 en 1978, les Guiè refusent de céder le trône aux Anoumgblé. Le non-respect du deal de 1925 est mis en orbite. Les Anoumgblé, à entendre les Guiè, seraient considérés comme des ''intrus'' sur le trône. De la même façon, les Anoumgblé estiment qu'ils sont les dignes successeurs du trône. Le conflit va perdurer de 1978 à 1995. Pendant 15 ans, le royaume créé en 1730 va rester sans souverain. C'est au cours de l'an 1995 que le consensus se fait autour de Kouakou Anoumgblé 3. Ceux qui étaient opposés à son sacre n'étant plus de ce monde. Il ne passera que 9 ans sur le tabouret royal.

En effet, en 2002, la rébellion armée le contraint à se réfugier à Abidjan où il meurt en 2004. Durant son absence, plusieurs princes et princesses essaient de tenir le royaume. En 2005, une reine du nom de Akoua Boni 2 s'installe sur le trône à Sakassou. Elle n'est pas du tout adoubée par les ''enfants'' du royaume. Mais elle essaie de faire revivre le palais. Elle finit par être chassée du palais royal après 2010.

En 2016, le royaume annonce de façon solennelle le décès du roi Kouakou Anoumgblé 3. Le chef de l'État, Alassane Ouattara, prend part aux côtés de son aîné Henri Konan Bédié à ses obsèques. Au cours de cette rencontre, dame Tanou Monique est désignée comme la nouvelle Reine des Baoulé. Elle régnera sous le nom de Akoua Boni 2. Elle est une proche des Anoumgblé, étant la petite sœur de Anoumgblé 3. Ce choix ne plaît pas aux Guiè qui estiment qu'à la suite du règne de Kouakou Anoumgblé 3 (1995-2004), c'est aux Guiè que revient le trône.

D'un autre côté, les puristes des us et coutumes retiennent que depuis 1790, le trône revient aux neveux, en ligne matrilinéaire. On.les appelle Aboussouan ou Awloba.

En vertu de ce principe sacro-saint, Tanou Monique, la sœur du défunt roi Kouakou Anoumgblé 3 ne peut s'asseoir sur le trône. Il revient donc à son fils Anvo Kassi Ottimi de régner. La querelle entre d'une part les Guiè et les Anoumgblé et d'autre part entre les Anoumgblé et ceux soutenant le fils replonge le royaume dans un septennat de turbulences entre 2016 et 2023.

En effet en 2023, la Reine ou Reine mère Akoua Boni 2 contracte un mal de tête. Le lundi 13 mai 2024 son décès est annoncé officiellement à la résidence du roi à Sakassou. En même temps, le conseil royal présente un régent Kouadio Maxime en charge de la gestion des affaires courantes. Proche des Guiè, il sera le roi en attendant son couronnement. Ce choix n'est pas de nature à plaire aux Anoumgblé qui estiment que Nanan Kassi Anvo, fils de la défunte Reine mère, a été déjà investi roi selon les us et coutumes. Il n'est donc plus question d'investir un autre roi.

Une autre crise dans la crise de succession vient de s'ouvrir.

Allah Kouamé

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